
16/07/2025
Hayti-Éducation :
L’école coloniale et son renforcement en perspective
Francisque Jean-Charles, MS. Ed-Doctorant (ISTEAH)
Port-de-Paix, Hayti
14 septembre 2015
Téléphone : 3848-5890/3756-7635
Adresse électronique : [email protected]
« Lorsqu’un peuple accepte, sans les mentionner, la science et les paradigmes de la réalité d’un autre peuple, le danger est qu’on accepte simultanément leur état de conscience et en même temps, on limite l’arène de sa propre capacité de conscience »
--Auteur inconnu
I.- Introduction générale
« Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le droit à l’Éducation est garanti à chacun afin de lui permettre […] d’exercer sa citoyenneté » (Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 – art. 2). Hayti, la mère-patrie, qui a inventé une République en 1804 et qui est dirigée par cinquante-huit administrations présidentielles, tarde encore à offrir à ses enfants le pain de l’instruction : fondement du développement durable de toute société démocratique. À date, plus de 60%, des progénitures en âge de fréquenter l’école se voient exclus de cette richesse fructueuse et permanente que Jacques Delors (1996)1 appelle, « L’éducation, un trésor caché dedans » laquelle est inextricablement liée à l’avenir de la République d’Hayti et au devenir de la société.
II.- Mise en place de l’école coloniale
Avant la signature du Concordat (1860) sur l’administration du président Fabre Geffrard, l’école malheureusement ne constituait pas une priorité pour l’État haytien. Il n’offrait même pas l’élément déterminant qui est l’éducation de base (scolarisation primaire complète de cinq à six ans – « le minimum requis pour stabiliser et développer une capacité d’apprentissage tout au long de la vie » (Bauchet et Germain, 2003)2. Étant uniquement au niveau de la pensée idéelle, (Brutus, 1969)3 l’appelait « l’école marron » qui était « une véritable académie de formation, et de fermentation à différents niveaux de la lutte révolutionnaire jusqu'à l'aboutissement de l'État-Nation d'Haïti ».
Comme pays signataire du Concordat, Hayti, berceau de la liberté du monde n***e, a livré l’éducation de ses enfants aux anciens colons-Chrétiens pour l’implémentation d’une « école coloniale » basée sur le christianisme (un obstacle pervers visant l’élimination de l’identité culturelle) ayant pour objectif de « reproduire l'idéologie colonialiste. Cette éducation cherchait à inculquer aux apprenants la représentation que se faisait d'eux cette idéologie : celle d'êtres inférieurs, incapables, pour qui le salut ne pouvait consister qu'à devenir des « blancs » ou des « noirs à l'âme blanche » (Paolo Freire, « Lettres à la Guinée-Bissau sur l'Alphabétisation »)4. Or Schnapper (2000)5 nous rappelle que « tous ceux qui ont eu pour ambition d’inventer une nation ont voué un véritable culte à l’école ». (p.154)
Certes, Hayti a eu une école reconnue par les différentes constitutions d’Haïti pour lesquelles l’éducation est un droit inaliénable et imprescriptible. Les articles 32-1 et 32-2 stipulent que « l’éducation est du ressort de l’État et des collectivités territoriales …l’école primaire est gratuite et obligatoire. Selon (Délima, 2012)6, « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personne humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix ».
Mais l’école haytienne n’est pas un produit du développement interne de sa société mais une école importée basée sur un projet de domination linguistique (le français) et de civilisation (caucasienne) visant la formation d’une élite alliée porteuse de la pensée et de la culture blancophile et occidentale. Cette école coloniale n’a jamais eu pour objectifs (1) la démocratisation du savoir et des connaissances et (2) le droit à une éducation de qualité aux enfants Haytiens et (3) le fondement d’une participation accrue au processus démocratique et à la vie socioéconomique en général. Or, la mère-patrie a réalisé au su et au vu de l’Occident la conquête de la liberté antiesclavagiste, anticolonialiste et antiraciste. Elle est aussi le premier pays à promouvoir une éducation gratuite pour tous dans la Constitution de 1801 du général Toussaint Louverture, le premier des noirs.
III.- Problématique de l’école coloniale
La problématique qui se pose est de savoir si les dirigeants Haytiens d’alors croyaient que la réussite scolaire d’un écolier Haytien se repose d’une part, sur une langue d’emprunt au lieu de sa langue maternelle et d’autre part, sur une éducation religieuse diabolisant la culture ancestrale. On se demande perplexe quel dirigeant soucieux de l’avenir socioéconomique, politique, culturel et spirituel de son pays confiera l’éducation de ses progénitures aux mains des anciens colonisateurs? Selon Nicephore Sozlo, le président béninois, « aucun homme ne peut avoir confiance en lui-même et se considérer comme acteur de son histoire et du développement de son pays s’il ne reconnait pas dans sa culture, s’il n’est pas fier de son identité ». Et au président sénégalais Léopold Sédar Senghor, de regretté mémoire, d’ajouter que : « la culture est au début et à la fin du développement ». Or l’idée maîtresse que défend la Conférence des Ministres de l’Éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN, 2007) est que la langue et la culture sont indissociables. L’imposition de la langue et de la culture des colons ont conduit aujourd’hui aux résultats suivants.
« Hayti est le seul pays en Amérique où la majorité des enfants débutent leur scolarité dans la langue de l’ancien colonisateur – que la plupart des jeunes ne pratiquent pas dans leurs familles » (Mackenzie et Walker, 2013)7. L’absence de l’utilisation de la langue maternelle conduit à la généralisation de l’absentéisme, l’augmentation du redoublement et la baisse des résultats. Ceux et celles qui échappent au système scolaire colonialiste (une minorité zwit, Jean Bertrand Aristide, 2004) sont, pour la plupart, des aliénés mentaux, des complexés et des acculturés occidentaux qui vont augmenter la main-d’œuvre en Occident. Selon des chiffres cités par le professeur Charles Tardieu, chaque écolier haytien coûte 1.2 million de gourdes à l’État pour sa formation académique (de la première année fondamentale au baccalauréat 2e partie). Selon lui, « on forme les ressources humaines pour les exporter et ceux formés ailleurs ne reviennent plus ».
« L’école est, par conséquent, considérée la panacée par excellence à tous les maux des sociétés actuelles » (Dubert, Duru-Bellat et Vérétout, 2010)8. En Haïti, à date, l’État haïtien peine encore à résoudre la problématique de la langue d’enseignement dans les écoles « dites » haïtiennes or c’est à l’État que revient la légitimité politique de définir quel type d’hommes et de femmes l’éducation forme, et quel type de société elle promeut. On s’est réjouit la semaine précédente lorsqu’on a lu que l’administration de Michel Martelly s’approchait « vers la standardisation du créole dans les écoles » (Haïti Libre, 2015) dans un protocole d’accord signé avec le Pasteur Pauris Jean-Baptiste, Président du Conseil d’administration de l’Académie du créole travaillant pour la promotion du créole et le droit linguistique en Haïti. Le Ministre Nesmy Manigat a déclaré que « Aujourd’hui, le Ministère décide d’améliorer le système sur des bases scientifiques, lesquelles ont démontré que l’apprentissage se fait à partir de la langue maternelle » soulignant que « les recherches ont démontré que les enfants apprennent mieux et plus rapidement dans leur langue maternelle. Et cette langue prépare l’enfant à apprendre plus facilement d’autres langues étrangères [...] Ce travail amorcé doit être continué jusqu’à la modernisation effective du système éducatif haïtien ».
IV. Renforcement de l’école coloniale
Mais le mardi 21 juillet 2015 dernier, le ministre Manigat a semé la confusion et l’incertitude en recevant une délégation française venant concrétiser les promesses faites en mai dernier par le président français François Hollande. Dans une première réunion dite de « cadrage » tenue au Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), « En fonction des priorités du Ministère de l’Éducation, les techniciens français et haïtiens auront à plancher, durant toute la semaine entre autres sur : la réforme curriculaire, l’enseignement des langues, la formation des enseignants, le nouveau secondaire et le renforcement du numérique dans le processus d’apprentissage. Des domaines dans lesquels la coopération française pourrait intervenir dès la prochaine année académique (2015-2016) », lit-on dans (Haïti Libre, 2015).
4.1- L’intrusion de la France
Voici déjà deux engagements qui font croire que la mère-patrie marche à un pas gigantesque vers le renforcement de l’école coloniale. On lit in verbatim les propos du président français : « [...] Je vous annonce que la France en accord avec vous Président Martelly, apportera son soutien à la modernisation du système éducatif haïtien parce que nous voulons que tous les jeunes haïtiens puissent être formés, scolarisés, accompagnés, suivis, parce que c'est leur droit le plus élémentaire et parce que c'est notre devoir.
Nous allons donc former les enseignants haïtiens, faire en sorte que davantage de missions puissent être accomplies par des enseignants français, par des formateurs français. Nous déploierons autant que nécessaire par du volontariat mais aussi par des expertises, tout pour que vos écoles, vos lycées, vos universités puissent être accompagnés par la France. Voilà notre devoir, voilà comment nous parlerons de l'histoire pour la mettre au service de l'avenir ».
4.2- Une école obsolète, élitisme et inégalitaire
Que peut apporter la France à Hayti au niveau de l’Éducation. Autre que les ressources financières, presque rien. Selon (Dutrisac, 2014)9 citant Yves Bolduc, le ministre français de l’éducation : « La France est en train d’adopter le modèle québécois…Le problème, c’est que le système français est basé sur l’élitisme…C’est basé sur la méritocratie. Théoriquement, seulement 10 % des meilleurs vont faire quelque chose… Eux autres, ils abandonnent le peuple…C’est pourquoi les Africains francophones souhaitent se défaire du système d’éducation français ou belge et s’inspirer du Québec, avance-t-il. En plus, « Le système français, l'un des plus inégalitaires, fonctionne bien pour les meilleurs mais oublie les plus faibles » (Pech, 2010)10 en terme de performance scolaire a conclu l’une des études réalisée par le Programme International de Suivi des Acquis (PISA) auprès de 470.000 élèves dans 65 pays. Le responsable des évaluations PISA pour la France Éric Charbonnier11 a sans ambages reconnu que le « système éducatif est devenu dichotomique : « Soit on réussit, soit on échoue » et Sir Robinson12 qui le juge « obsolète ». Pourquoi notre gouvernement accepterait-elle une telle offre qui va créer plus d’inégalités, de décrochage scolaire et surtout le renforcement de l’école coloniale? Il faut une déconstruction au plus vite de cette école qui apporte le germe de la division, de la discorde, de la jalousie, du complexe de supériorité et d’infériorité et encore plus le mal développement de la mère-patrie.
4.3- L’élaboration du système éducatif Haytien
Ce poison virulent et mortel qu’offre la France, franchement on n’en a pas besoin. Les pays avec les meilleures performances scolaires tels la Finlande, l’Allemagne, le Canada, la Chine, entre-autres apporteraient plus de nouveautés au système scolaire Haytien calqué déjà sur la France qui est éclaté – une contestation d’échec. Et malgré tout, le ministre Manigat n’oserait pas imposer l’un des systèmes qui de fait n’apportera pas une solution fructueuse à l’école Haytienne. La Finlande élabore un système scolaire pour former les Finlandais. Le Canada et la Chine : idem. Ainsi, Hayti doit élaborer son système éducatif répondant aux réalités socioculturelles Haytiennes. On peut toujours s’inspirer des autres modèles performants pour construire le nôtre mais il est inconcevable et révoltant qu’on fasse venir des étrangers pour le faire alors qu’il en existe toute une avalanche de professionnels Haytiens en éducation, des bâtisseurs de l’avenir qui sont prêts et disposés bénévolement à offrir à la mère-patrie ce cadeau combien indispensable à son avenir socio-économique, politique, culturel, spirituel et scientifique. Nelson Mandela n’avait-il pas raison de dire que : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde »?
V. Recommandations
1.- La création d’une Structure d’Accueil pour Coopérants Humanitaires (SACH) venant du Canada pour « effectuer une réforme en profondeur du curriculum du préscolaire, de l’enseignement fondamental et du secondaire en vue de l’adapter aux exigences d’une société démocratique et inclusive qui s’appuie sur l’éducation pour accélérer sa marche vers le progrès, en mettant l’accent sur la qualité de l’enseignement, la formation citoyenne, une initiation aux notions d’économie et d’entreprenariat, et le développement de l’esprit scientifique. Cette réforme veillera à mettre en place des programmes d’enseignement qui, entre autres, mèneront au bilinguisme officiel (créole et français) et à la maîtrise d’une 3e langue ». (Grahn Monde, 2010)
2.- L’adaptation de « sa première législation contraignante en matière d’aménagement linguistique afin de légitimer et d’encadrer l’aménagement et du créole et du français dans le système éducatif national, de la maternelle à l’enseignement secondaire, universitaire et technique ». (Oriol, 2011)
3.- « Le développement d’une politique du livre qui favorise l’émergence d’un environnement lettré en langues nationales à travers la production de manuels scolaires et livres » en langues créoles et français. (CONFEMEN, 2011)
4.- L’engagement de l’état Haytien de trouver les moyens financiers en vue d’assurer à tous les enfants de la République une éducation de qualité qui se traduit par l’obligation d’accroître l’offre éducative, d’une part, et de garantir la qualité de l’éducation offerte, d’autre part.
VI. Conclusion
Il faut stopper cette hémorragie qui avilit la terre du bâtisseur Henri Christophe qui était un grand visionnaire dans la formation académique de ces concitoyens (nes). La mère-patrie possède des professionnels de haut niveau en éducation pouvant offert mieux que l’assistance de la coopération française. Les bénévoles du Grahn Monde et la première cohorte du programme doctoral en Gestion des Systèmes scolaires de l’Institut des Sciences des Technologies des Études Avancées d’Haïti (ISTEAH) sont prêts et disposés à travailler bénévolement pour offrir à la mère-patrie, Hayti, ce cadeau combien ambitieux et indispensable. Christophe fut le promoteur d’une méthode d’enseignement rapide dénommé « la monitoriade », à savoir l’École des Transcendés et des Templiers. Selon (Roland 2005)16, cette école « sera le temple de notre développement. Cette école révolutionnaire sera la meilleure de tout le continent américain. Elle sera l’excellence pour le plus grand nombre car elle aidera les élèves à utiliser leur intelligence 20 fois plus qu’avec une école classique! Ils (élèves) formeront des générations de transcendés. Ils auront l’ambition et la fougue de lutter et de gagner. Ils auront une mentalité de champion. Outre un niveau de connaissances, les élèves recevront plusieurs formations spéciales; une première pour les aider à affronter la vie dans ce qu’elle a de meilleur et dans ce qu’elle a de pire; une seconde formation qui fera d’eux d’excellents époux et épouses, enfin une dernière les habilitera à devenir les investisseurs les plus dynamiques que notre pays a connus ». La mère-patrie, de nos jours, cherche uniquement les ressources financières mais elle est dotée désormais de ressources humaines, matérielles et informationnelles pour élaborer son projet d’éducation.
VII- Références bibliographiques
1. DELORS, J. (1996). L’éducation, un trésor caché dedans. Extrait du Rapport International de Jacques Delors pour l’UNESCO.
2. BAUCHET, P et GERMAIN, P. (2003). L’éducation, fondement au développement durable. Presses universitaires de France.
3. BRUTUS, E. (1969). La révolution dans Saint-Domingue. Tome I. Les Éditions du Panthéon, Belgique. Page 24
4. MASPARO, F. Lettres à la Guinée-Bissau sur l’Alphabétisation. Cahiers libres 343. Page 44.
5. SCHNAPPER, D. (2000). Qu’est-ce que la citoyenneté? Amazon.fr
6. DELIMA, P. (2012). Constitution, Lois, et Education en Haïti 1801-2011. page 29
7. MACKENZIE, P et WALKER, J. (2013). L’enseignement en langue maternelle : Des leçons de stratégie pour la qualité et l’exclusion. Campagne Mondiale pour l’Éducation
8. DUBET, F., DURU-BELLAT, M. et VÉRÉTOUT, A. (2010). Les sociétés et leur école. Emprise du diplôme et cohésion sociale. Paris, Le Seuil. 212 p.
9. DUTRISAC, R. (2014). L’éducation, ce n’est pas la santé. Le Devoir. Citant Yves Bolduc
10. PECH, M-E. (2010). Le système éducatif français mal noté. Le Figaro.fr
11. CHARBONNIER, E. (2010). Notre système éducatif est devenu dichotomique. « soit on réussit, soit on échoue ». Lemonde.fr
12. ROLAND, Olivier. Notre système éducatif est-il obsolète? http://www.des-livres-pour-changer-de-vie.fr/notre-systeme-educatif-est-il-obsolete/
13. PIERRE, S. (2010). Construction d’une Haïti nouvelle. Grahn Monde
14. ORIOL, R-B. (2011). Aménagement du créole et du français en Haïti : L’école en créole, en français dans les deux langues? État de la question et perspectives.
15. HIMA, A. (2007). Intérêt et importance des langues nationales dans l’enseignement. Conférence des Ministres (CONFEMEN).
16. ROLAND, B-T. (2005). L'"Haïtiade", le programme de nos ancêtres qui transformera Haïti, notre patrie. Le Nouvelliste
Cliquez ici ➽ pour découvrir pourquoi notre système éducatif ✅ est obsolète et des pistes pour le changer et avoir une nette amélioratin