28/09/2025
ABETI MASIKINI : LA DIVA FULGURANTE QUE LA MORT A FERMÉE À 39 ANS
Par KongoTimes!
Le 28 septembre 1994 marque une date sombre dans la mémoire de la musique africaine. Ce jour-là, Abeti Masikini (née Elisabeth Finant) s’éteignait, emportée par un cancer de l’utérus à Villejuif, en banlieue parisienne.
Dans cet article, nous reviendrons sur son itinéraire, les combats qu’elle mena, et ce qu’elle laisse en héritage — en dressant des exemples et en montrant les preuves de sa place dans l’histoire.
UNE VIE PORTEUSE D’ESPOIR ET DE TALENT
Origines et premiers élans
Abeti Masikini est née le 9 novembre 1954 à Stanleyville, dans l’ancien Congo belge (aujourd’hui Kisangani, en République démocratique du Congo). Fille de Jean-Pierre Finant — premier gouverneur d’origine congolaise de la province de l’Orientale — et de Marie Masikini, une chanteuse de chœur d’église, elle grandit dans un milieu où la musique et la culture tenaient une place réelle.
Après l’assassinat de son père en 1961 (lié à son engagement politique), la famille s’installe à Kinshasa. C’est là qu’Abeti, encore jeune, chante dans le chœur de l’église de sa mère, affinant très tôt ses sensibilités vocales.
Son parcours artistique démarre vraiment en 1971, lorsqu’elle participe — avec une date de naissance ajustée pour répondre aux conditions d’âge du concours — au concours Découverte des Jeunes Talents à Kinshasa. Elle y remporte un prix (troisième place) et attire l’attention du producteur togolais Gérard Akueson, qui deviendra son manager.
L’ascension artistique : de l’authenticité à la modernité
Son premier album, Pierre Cardin Présente: Abeti, sort en 1973, produit par Les Disques Pierre Cardin, maison du couturier français. Cet opus suscite immédiatement de l’attention — il mélange riffs africains, influences blues ou folk, et des textes en lingala, français ou swahili.
Grâce à ce lancement, Abeti fait ses débuts sur des scènes prestigieuses : l’Olympia à Paris (en 1973), puis à New York à Carnegie Hall en 1974 avec son groupe Les Redoutables. Elle devient l’une des premières chanteuses africaines à se produire dans ces temples de la musique.
Au fil des années, elle multiplie les explorations musicales : Je suis fâchée (1986) devient disque d’or, l’album En colère (1987) engendre des tubes, notamment Scandale de Jalousie. En 1988, elle se produit au Zénith de Paris, entourée de grands noms comme Bernard Lavilliers ou Manu Dibango. En 1989, elle réalise une tournée en Chine avec 17 galas dans différentes villes, un exploit rare pour une artiste africaine de l’époque.
Son dernier grand disque est La Reine du soukous (sorti vers 1990–1991), qui comporte le titre Bébé Matoko, devenu un tube en Afrique de l’Ouest.
LE COMBAT D’UNE FEMME DANS UN MILIEU DOMINÉ PAR LES HOMMES
Abeti Masikini ne fut pas seulement une voix — elle symbolisa aussi un combat. Elle fut une des premières femmes congolaises à diriger son propre orchestre (Les Redoutables), défier les conventions et imposer son style dans un univers musical dominé par les hommes.
Dans le documentaire Abeti Masikini : Le Combat d’Une Femme, réalisé par Laura Kutika et Ne K***a Nlaba, sa vie est explorée sous l’angle de ses luttes : celle du genre, celle de la reconnaissance artistique, celle des choix entre vie privée et carrière. Le film montre comment elle résista aux moqueries, aux critiques de sa voix ou de son ambition, tout en gardant une dignité et un engagement constants.
Son influence s’est aussi matérialisée dans la mode : la jupe droite à fente longtemps appelée « la jupe Abeti » est inspirée de ses tenues scéniques. De plus, son orchestre a été une pépinière d’artistes : Mbilia Bel, Lokua Kanza, Tshala Muana, Komba Bellow, entre autres, ont gravité autour de son univers musical.
Elle appuya aussi l’idée d’un droit d’expression pour les femmes dans la musique africaine. Même si elle n’écrivit pas explicitement des manifestes féministes, ses choix et sa présence constituaient une revendication : la voix d’une femme devait compter autant que celle d’un homme dans le paysage musical.
LE 28 SEPTEMBRE 1994 : LA MORT D’UNE DIVA
Le contexte et la maladie
À l’apogée de sa carrière, Abeti Masikini dut affronter un adversaire implacable : le cancer de l’utérus. Les sources concordent pour indiquer que c’est cette maladie qui causa son décès.
Elle décède à Villejuif (en France) le 28 septembre 1994, à l’âge de 39 ans (ou selon certaines sources, 40 ans) — selon les recoupements, elle était née en 1954. Le site Radio Okapi, à l’occasion du 30ᵉ anniversaire de son décès, mentionne qu’une messe d’action de grâce fut organisée en sa mémoire à Paris.
Sa disparition soudaine provoqua un choc dans les milieux culturels africains et au-delà. On perdit non seulement une voix, mais une figure d’émancipation et d’inspiration.
Réactions et commémorations
Les hommages sont nombreux. En 2024, à l’occasion du 30ᵉ anniversaire de son décès, plusieurs initiatives sont organisées, notamment des cérémonies à Paris. Dans les médias congolais, on souligne qu’Abeti Masikini faisait partie des grandes voix congolaises modernes ayant contribué à la reconnaissance de la musique congolaise sur la scène internationale.
Certaines publications rappellent qu’elle est enterrée dans la mémoire collective comme la « Reine du soukous » et que son nom reste associé à des tubes indémodables.
HÉRITAGE ET SIGNIFICATION DE SA DISPARITION
Pour comprendre l’importance de ce jour, il faut mesurer ce que perd la musique africaine quand une icône s’éteint prématurément, et ce que reste de vivant.
Une œuvre inachevée mais forte
Malgré sa disparition à un âge relativement jeune, Abeti Masikini a laissé une discographie riche — on lui attribue jusqu’à 21 albums d’enregistrements studio. Ses œuvres — tels Scandale de Jalousie, Bébé Matoko, Aziza, Zaire Oye — continuent de tourner sur les ondes, dans les playlists africaines et dans les hommages.
Une figure d’émancipation
Sa carrière prouve qu’une femme africaine pouvait prendre les devants, créer, diriger, imposer sa voix — à une époque où cela n’était pas évident. Sa force de caractère, son audace, ses choix artistiques sont souvent mentionnés comme des repères pour les générations suivantes.
Le symbole du “et si…” — ce qu’on aurait pu avoir
La mort d’Abeti Masikini laisse derrière elle une question : quelles trajectoires aurait-elle encore pu dessiner ? Peut-être des collaborations plus audacieuses, des tournées dans des pays jusque-là inexplorés, des albums encore plus novateurs, voire une influence accrue dans les mouvements féministes africains.
CONCLUSION
Le 28 septembre 1994 reste un jalon douloureux dans l’histoire de la musique africaine. La disparition d’Abeti Masikini n’a pas seulement supprimé une grande voix, mais elle a privé le monde d’un être revendicatif, pionnier et inspirant. Le jour de sa mort, c’est un morceau de rêve collectif qui s’est effrité.
Pour autant, ce qui demeure dépasse la disparition : sa musique, sa posture, les artistes qu’elle a inspirés et les barrières qu’elle a contribué à faire tomber. En ce jour, on se souvient non pour pleurer, mais pour affirmer que son nom continue de vibrer — et que sa lutte n’est jamais finie.