27/10/2025
Il y a près d’un siècle, les Libanais vivent sur une promesse appelée « la coexistence », fondée sur un texte constitutionnel censé servir de toit commun après la guerre et ses ravages.
Mais après cent ans d’expériences, quinze ans d’« Accord de Taëf » et trois décennies de tentatives pour restaurer l’État, il est légitime — et même nécessaire — de poser la question :
Cette coexistence existe-t-elle encore vraiment, ou n’est-elle plus qu’une façade destinée à consacrer la domination et l’exclusion ?
Une structure politique piégée par trois réalités
Premièrement, l’armement du Hizbollah, qui refuse de se soumettre à la logique de l’État et détient seul la décision de guerre et de paix, transformant le pouvoir central en décor politique vide.
Malgré les transformations régionales, la trêve au Sud et les pressions internationales, le parti persiste à refuser de rendre ses armes et se considère au-dessus de la légalité nationale et internationale.
Deuxièmement, les camps palestiniens demeurent des « enclaves sécuritaires » échappant au contrôle de l’État, où des autorités de fait imposent leur loi, en contradiction totale avec toute notion de souveraineté ou d’État de droit.
Troisièmement, la mainmise de Nabih Berry sur la vie politique : le président de la Chambre, censé être un arbitre, s’est mué en gardien exclusif des clés du Parlement. Il décide seul quand ouvrir ou fermer les portes de la démocratie, quand convoquer ou suspendre les sessions, selon les intérêts de son parti et de son axe.
Quelle démocratie reste-t-il quand le destin parlementaire du pays dépend de la volonté d’un seul homme ?
Dans la montagne, Walid Joumblatt s’accroche à un trône féodal, bloquant toute émergence d’une voix druze indépendante, qu’elle soit politique, économique ou sociale.
Et dans le Nord, Sleiman Frangié continue de perpétuer la logique de la « chefferie héréditaire » à Zghorta et Akkar, empêchant tout renouvellement politique naturel.
Le prix du mensonge du « vivre ensemble »
Ces faits ne sont pas des opinions : ce sont les barreaux d’une prison pour les composantes du pays qui ont choisi de respecter la Constitution et qui ont payé cher pour défendre l’État.
Face à elles, d’autres ont fait de la fraude constitutionnelle un instrument de pouvoir, de l’arme une garantie d’influence, et de la violation du droit un mode de protection communautaire.
Ils ne brandissent la « partenariat national » que lorsque leurs intérêts vacillent ou que leurs réseaux sont menacés.
Mais quand il s’agit de piller l’État, de paralyser les institutions, d’accumuler les richesses ou de pousser la jeunesse à l’exil, la « coexistence » s’efface et le « vivre ensemble » se volatilise.
Les vraies questions
N’est-il pas légitime que de nombreux Libanais se demandent aujourd’hui :
• De quel droit le Parlement est-il pris en otage ?
• De quel droit une milice impose-t-elle son pouvoir à l’État ?
• De quel droit des zones échappent-elles à la souveraineté ?
• De quel droit la représentation communautaire et régionale est-elle confisquée ?
• De quel droit la démocratie est-elle détournée au profit de dynasties et d’héritages politiques ?
Poser ces questions n’est pas une trahison.
La trahison, c’est le silence face à un tel désastre.
Le Liban à l’heure de la chute lente
Le Liban est entré dans une phase de déclin prolongé :
effondrement économique, institutions en faillite, État impuissant, frontières poreuses, justice soumise, presse menacée.
Seules les milices confessionnelles et les féodalités politiques ont survécu — et même prospéré — sur les ruines du pays.
Le tabou d’une nouvelle formule
Dès lors, la question la plus grave s’impose :
N’est-il pas temps de remettre en question la formule libanaise elle-même ?
Que signifie le « vivre ensemble » quand un camp impose sa volonté par la force et qu’un autre ne participe qu’avec l’autorisation du chef ?
Face à ce constat, des options longtemps taboues refont surface :
• Le fédéralisme, pour redistribuer le pouvoir et sortir du blocage.
• La décentralisation élargie, comme minimum vital de survie.
• Et même, la séparation comme hypothèse théorique, que certains jeunes commencent à évoquer, lassés de voir les « zones armées » plonger le pays dans l’isolement, les sanctions et la ruine.
Une vérité nécessaire
Ces pistes ne sont pas des appels à la division, mais une révolte contre une coexistence mensongère qui a sacrifié le pays sur l’autel des intérêts et des clientélismes.
Cent ans d’histoire ont montré que cette formule n’a servi qu’à élever une caste en condamnant l’autre à la résignation.
Aujourd’hui, la question est existentielle :
Allons-nous rester prisonniers des armes, des seigneurs et des héritiers ?
Ou oserons-nous réinventer le pacte, pour sauver l’État et protéger l’homme ?
La vraie audace n’est pas de se cacher derrière des slogans figés,
mais de redéfinir les lignes rouges et briser les interdits du discours, car la Constitution n’est pas une opinion — même si certains l’ont traitée comme telle.
Il est temps de dire la vérité haut et fort :
Constater la chute du “vivre ensemble” tel qu’il a été appliqué n’est pas trahir la patrie ;
la vraie trahison, c’est de persister à vivre dans le mensonge qui a détruit le pays et tué des générations entières d’espérance.
Transparency News ( traduit )