31/08/2025
MILA 2025 |
MOT DU LAURÉAT DU PRIX MILA DU LIVRE FRANCOPHONE 2025
Cher comite d’organisation du Meeting International du Livre et des Arts associés,
Monsieur le Commissaire Général du Mila,
Chers représentants des Gouvernements,
Chère Ministre de la culture et de la Francophonie,
Chères Délégations du Burkina Faso, du Sénégal, du Congo, de la France, du Cameroun, de la Guinée, du Gabon, du Bénin,
Chers journalistes, chers artistes,
Chers écrivains, chères écrivaines,
Cher comite de lecture,
Mesdames Messieurs, chers camarades de lutte,
Honorables invités,
Au nom de tous les cultivateurs de cacao d’Afrique, je suis honoré d’être parmi vous ce soir, ici à Abidjan dans le cadre de la 8e édition du Meeting International du Livre et des Arts associés.
En tant qu’ex-enfant travailleur des plantations de cacao au Cameroun, cette distinction revêt une signification très symbolique à mes yeux.Si j’ai bien compris, la 8e édition du Mila se déroule sous la thématique : Livre et arts associés au service de la Paix.
Voila une question fondamentale au regard des bouleversements socio-politiques que traverse notre continent. Comment la littérature peut-elle devenir un vecteur de paix, de connaissance, de cohésion et d’autodetermination continentale ? Mais j’aimerais avant tout vous parler d’une autre forme de Paix que j’estime capitale. La souveraineté alimentaire africaine.
L’ouvrage primé ici aujourd’hui est né de ma rencontre personnelle avec la fève, mais plus encore d’une volonté urgente d’interroger la politique agricole du cacao en Afrique.
Plus d’un siècle après l’introduction du cacao sur le Continent, nous avons assisté à toutes formes de spéculations financières et écologiques, et nous pouvons aujourd’hui affirmer que la culture du cacao n’a jamais profité aux principaux fournisseurs que sont les cultivateurs et les pays africains. Permettez-moi de vous donner quelques chiffres officiels pour mesurer l’étendue de la Cacaomania internationale et sa violence.
🇨🇮 Côte d’Ivoire
• En 2023, la Côte d’Ivoire a produit environ 2 377 442 tonnes, soit ~42 % de la production mondiale. Pour la campagne 2023/24, le Conseil Café‑Cacao ivoirien estime la production entre 2,1 et 2,2 millions de tonnes
🇬🇭 Ghana
• En 2023, la production du Ghana était d’environ 653 700 tonnes, soit ~11–12 % du total mondial
• Pour 2023/24, la production a connu une forte baisse, estimée entre 500 000 et 650 000 tonnes selon les sources (ICCO et Cocobod)
🇨🇲 Cameroun
• En 2023, le Cameroun a produit environ 295 800 tonnes de cacao
• Pour la campagne 2023/24, la production a légèrement augmenté, atteignant ~266 725 tonnes selon le rapport du Conseil national du cacao et du café camerounais (période août 2023–juillet 2024)
🇳🇬 Nigeria
• En 2023, la production nigériane était d’environ 284 232 tonnes
• En 2023/24, la production officielle est estimée entre ~284 000 et 315 000 tonnes, la Nigeria étant classée quatrième producteur mondial selon l’ICCO. Toutefois, des estimations plus optimistes évoquent des volumes plus élevés non comptabilisés formellement (smugglin)
Avec une telle production annuelle pourquoi, économiquement, l’Afrique occupe-t-elle le bas de la chaîne de rémunération ? Pourquoi nos cacaoculteurs continuent-ils de vivre sous le seuil de la pauvreté ?
En 2024, l’industrie du chocolat Européen a généré 130 milliards de dollars de chiffre d’affaires. De cette somme, les pays producteurs n’ont reçu que 6/100, dont 2/100 pour l’ensemble des cacaoculteurs africains. Si dans les années 1960 la culture du cacao imposée en Afrique nous a été présentée comme une aubaine et un
espoir de développement économique et social, nous pouvons dire aujourd’hui sans crainte que ce programme est un échec. L’Afrique est simplement devenue une vaste plantation de Cacao au service des industries et des consommateurs occidentaux. La responsabilité de nos pays producteurs dans cette Cacaomania Internationale qui asservit les hommes, les femmes, les enfants, pollue les terres, les eaux, empoisonne les animaux tout en détruisant nos forets est à interroger et à sanctionner.
Mon ouvrage CHOCO TRAUMA publié aux éditions la Croisée des Chemins, initialement publié aux éditions Ecosociété sous le titre de CHOCOLATÉ – LE GOÛT AMER DE E LA CULTURE DU CACAO, met en lumière une filière profondément illégale, l’injustice que subissent les paysans, l’impact environnemental et économique de la fève depuis les plantations de cacao d’Afrique jusqu’aux tablettes de chocolat occidentales.
Pendant que la Bourse du cacao fait la pluie et le beau temps à New-York, Londres, Paris, Bruxelles, ou Berlin, 1,5 millions d’enfants continuent d’être exploités dans les plantations de cacao. Pendant que les déforestation massives atteignent des niveaux alarmants allant de 65 à 90/100 de perte de biodiversité au Ghana, ici en Côte D’ivoire, au Cameroun et ailleurs. Un gentil Suisse, Français, Allemand, Belge, Italien, Americain, Japonais mange environ 9 a 12 kilos de chocolat par an, chez nous en Afrique, la consommation globale de
chocolat se situe entre 3 et 4/100.
En somme, nous cultivons quelque chose que nous consommons très peu et qui ne tient aucune des promesses qui nous étaient nous sont encore vendues aujourd’hui.
En tant que pays producteurs et cacaoculteurs africains, nous devons impérativement reformer notre politique agricole au profit de nos pays et de nos économies locales. Il est urgent de mettre en place des démarches équitables et souveraines qui créent de la valeur ajoutée en termes de culture du cacao, de transformation des fèves, de transport, et de commerce équitable. Le Colonialisme Vert, ce capitalisme dégradant qui vise à déposséder les Africains de leurs ressources naturelles, doit être mis a la porte. Et nous nous devons mettre fin à la corruption de certaines de nos élites qui contribuent à affaiblir notre système agricole.
Au-delà de la visée sociale et économique de la culture du cacao, en tant que militant Ecopoète, promoteur de l’Ecopoésie, de la littérature verte, je me permets de nous exhorter à garder ceci en esprit. La monoculture intensive du cacao et la production à outrance du chocolat sont en partie responsable du consumerisme actuel, de la
pollution, de la destruction de la biodiversité et du
changement climatique. J’appelle ici de tous mes vœux l’esprit de sobriété mondiale et de mode ration. J’en appelle à la justice environnementale contre le Greenwashing des opérateurs et des multinationales coupables d’exploiter des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants cacaoculteurs.
J’en appelle au respect des Objectifs de Développement Durable en faveur de la Planète.
Mesdames et Messieurs, j’ai écrit ce livre avant tout par nécessité souveraine. L’Afrique ne peut plus continuer d’être le supermarché du monde, l’Afrique ne sera pas le Continent de l’avenir sans une forte prise de conscience des enjeux d’aujourd’hui.
Je dédie officiellement ce prix Mila du livre Francophone 2025 à tous les enfants cultivateurs de cacao en Afrique.
FORCE ONE
Je vous remercie !!
SAMY MANGA
Écrivain, Militant Ecopoète
Président association Ecopoètes International
