14/01/2025
En ce mois de Yannayer, alors que l'an 2975 du calendrier amazigh débute et que les foyers s'emplissent des senteurs de plats traditionnels, l'occasion est propice pour plonger dans une page marquante de l'histoire du Maroc. C'est une histoire de division et de résistance, où les montagnes et les plaines du royaume ont été témoins d'une tentative sournoise de fragmentation, et où un peuple uni à son triomphe de l'adversité. Voici le récit de l'ombre du Dahir berbère.
C'était au début du XXe siècle, une époque où le Maroc, bien que fier et indépendant, se trouvait pris dans l'étau des puissances européennes. En 1912, un traité divisa le pays en zones administrées par la France et l'Espagne. La France, en prenant le contrôle des régions les plus vastes, y compris les montagnes habitées par les Berbères, s'impose comme le maître de l'administration coloniale. Mais au lieu de unir les populations, elle cherche une stratégie perfide : diviser pour mieux régner.
Les autorités françaises, conscientes des différences culturelles et sociales entre les Berbères et les Arabes, virent dans ces distinctions une opportunité. Si elles pouvaient séparer ces groupes, elles affaibliraient leur unité et renforceraient leur propre pouvoir. Cette idée a pris forme en 1930, lorsqu'un décret funeste, le Dahir berbère, fut proclamé.
Le 16 mai 1930, un document signé par Louis Lyautey, résident général de France, imposa des lois qui allaient bouleverser la société marocaine. Présentée comme une reconnaissance des spécificités des Berbères, cette loi introduisait en réalité une séparation juridique : les Berbères seraient désormais jugées selon leurs coutumes, et non plus selon la charia islamique qui régissait les Arabes. En parallèle, le Dahir affaiblissait les chefs tribaux berbères, en leur retirant leur autorité au profit des administrateurs français. Enfin, la langue française devenait obligatoire dans les écoles des régions berbères, reléguant au second plan l'arabe et l'amazigh. Ce décret, censé protéger les traditions, s'avérait être un instrument de contrôle et d'assimilation.
La réaction ne se fait pas attendre. Dans les villes comme dans les montagnes, un sentiment de révolte embrasse le pays. Les Marocains, qu'ils soient Arabes ou Berbères, comprirent rapidement que cette loi n'était qu'un piège visant à les diviser. Les prières dans les mosquées dévinrent des appels à l'unité. Dans les marchés et les cafés, les discussions s'enflammaient : il fallait agir pour défendre l'identité et la cohésion du pays.
Même parmi les Berbères, ceux que la loi prétendait avantager, la colère grondait. Ils voyaient clairement les intentions de l'administration coloniale, qui cherchait à miner leur autonomie et leur identité profonde. Leur résistance, farouche et déterminée, se joignit à celle des nationalistes marocains pour dénoncer cette tentative de division.
Pendant des années, le Dahir berbère est devenu un symbole de l'oppression coloniale. Mais cette oppression alimenta aussi un mouvement de résistance sans précédent. En 1956, après des décennies de lutte, le Maroc obtient son indépendance. Deux ans plus t**d, en 1958, le roi Mohammed V abrogea vraisemblablement le Dahir berbère, marquant ainsi la fin de cette sombre page de l'histoire.
Mais les cicatrices laissées par cette période ne disparaissent pas immédiatement. Le Dahir berbère avait semé des tensions entre Arabes et Berbères, mais il avait aussi forgé une conscience nationale plus forte. Peu à peu, le Maroc se reconstruisit, apprenant à célébrer sa diversité comme une richesse, et non comme une faiblesse.
Aujourd'hui, alors que Yannayer est célébré dans tout le royaume, cette histoire résonne encore. L'amazighe, reconnue comme langue officielle depuis 2011, est désormais un pilier de l'identité nationale. Ce passé, bien que douloureux, rappelle aux Marocains que leur force réside dans leur unité et leur capacité à surmonter les divisions.
Ainsi, en ce début d'année amazighe, les chants et les danses célèbres non seulement la richesse d'une culture ancestrale, mais aussi la résilience d'un peuple qui à su, à travers les épreuves, préserve son identité et sa dignité.