05/06/2025
Les Partenariats Public-Privé à Madagascar : Entre Ambitions et Défis Juridiques Complexes
Madagascar, dans sa quête de développement accéléré de ses infrastructures et services publics, a misé sur les Partenariats Public-Privé (PPP). La loi n°2015-039 et ses décrets d'application, notamment le décret n°2017-149, ont instauré un cadre juridique et institutionnel ambitieux. Cependant, malgré cette volonté affichée, la concrétisation des projets PPP se heurte à d'importants défis juridiques, exacerbés par un environnement parfois instable, qui freinent leur efficacité et leur attractivité pour les investisseurs privés.
Un Cadre Juridique et Institutionnel en Place
Selon la loi malgache, un Partenariat Public-Privé est un contrat par lequel une autorité publique confie à un partenaire privé, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la conception, le financement, la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public.
Plusieurs acteurs institutionnels sont impliqués dans la gouvernance des PPP :
• Le Comité National PPP (CNPPP) : organe d'orientation stratégique et de validation des projets.
• L'Unité PPP (UPPP) : rattachée à la Présidence ou à la Primature (selon les configurations gouvernementales), elle assure l'appui technique, la promotion et le suivi des projets.
• Le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) : joue un rôle crucial dans l'évaluation de la soutenabilité budgétaire, le contrôle des engagements financiers de l'État et l'approbation finale de certains aspects.
• Les autorités sectorielles (ministères techniques) : responsables de l'identification des besoins, de la préparation initiale des projets et de leur suivi technique.
Les Défis Juridiques Majeurs : Un Parcours d'Obstacles
Malgré ce dispositif, la mise en œuvre des PPP à Madagascar est jalonnée de difficultés juridiques significatives :
1. Complexité et Lourdeur des Procédures :
La multiplicité des étapes de validation (études de faisabilité technique et économique, évaluations de la soutenabilité financière, contrôles budgétaires) et la nécessité d'une coordination entre les divers organes (CNPPP, UPPP, MEF, ministères sectoriels) engendrent des délais considérables. Cet allongement des phases de préparation et de signature des contrats décourage les investisseurs et augmente les coûts de transaction.
2. Gestion des Risques et des Engagements Financiers :
L'identification, la quantification et la répartition équitable des risques entre les partenaires publics et privés s'avèrent complexes. L'absence fréquente d'une matrice des risques claire et exhaustive dès le départ, couplée au manque de standardisation des modèles contractuels, crée des incertitudes. La prise en charge des engagements conditionnels de l'État (garanties, subventions d'équilibre) reste un point sensible, souvent mal défini et potentiellement lourd pour les finances publiques.
3. Contrôle et Transparence : Un Impératif Souvent Négligé :
La réussite et la légitimité des PPP reposent sur une transparence accrue, notamment dans les processus de passation des contrats et la gestion des engagements financiers. La loi impose la publication des engagements directs et conditionnels de l'État. Cependant, le non-respect des procédures de passation ou un manque de clarté dans les engagements peuvent entraîner des risques de nullité des contrats et alimenter la méfiance.
4. Capacités Institutionnelles Limitées :
Un défi majeur réside dans le manque d'expertise et de ressources humaines spécialisées au sein des administrations concernées. Le montage, la négociation, le suivi et l'évaluation des projets PPP requièrent des compétences techniques, financières et juridiques pointues qui font souvent défaut. Un besoin criant de formation continue et d'accompagnement technique se fait sentir.
5. Sécurité Juridique des Contrats et Influence du Risque Politique :
La pérennité des projets PPP est menacée par l'insécurité juridique des contrats. Les risques de contentieux sont élevés, que ce soit en raison de l'interprétation divergente des clauses contractuelles, de la gestion des modifications ou résiliations anticipées. À cela s'ajoute le poids significatif du risque politique et de l'instabilité institutionnelle. Des changements de gouvernement ou d'orientations politiques peuvent fragiliser la continuité des engagements de l'État, remettre en cause les termes des contrats signés par des administrations précédentes et affecter la confiance des investisseurs dans la sanctuarisation des accords sur le long terme. Cette incertitude constitue un frein majeur à l'investissement privé. La protection des intérêts financiers de l’État dans ces scénarios complexes est également une préoccupation constante.
Enjeux et Perspectives d'Amélioration
La concrétisation du potentiel des PPP à Madagascar passe inéluctablement par la levée de ces obstacles juridiques et la création d'un environnement plus stable.
• Renforcement du Cadre, des Capacités et de la Stabilité : Il est impératif de consolider le cadre juridique pour le rendre plus clair, plus prévisible et plus agile. Parallèlement, le renforcement des capacités des institutions (UPPP, MEF, ministères sectoriels) par la formation et le recrutement d'experts est crucial. Fondamentalement, l'amélioration de la stabilité politique et institutionnelle est une condition sine qua non pour rassurer les investisseurs et sécuriser les engagements sur la durée.
• Vers des Outils Opérationnels : L'élaboration et la diffusion de guides opérationnels, de manuels de procédures simplifiés et de modèles contractuels types (tout en gardant une flexibilité nécessaire) pourraient grandement faciliter la compréhension et l'application des textes, réduisant ainsi les délais et les incertitudes. Des clauses de stabilisation, dans la mesure du possible et dans le respect de la souveraineté de l'État, pourraient être envisagées pour mitiger certains risques politiques.
• Le Rôle Central du Ministère de l'Économie et des Finances : Le MEF doit pleinement assumer son rôle clé dans la validation de la soutenabilité budgétaire, le contrôle rigoureux des engagements financiers (directs et conditionnels) et le suivi ex-post des performances des projets PPP. Une meilleure anticipation des impacts budgétaires est essentielle, y compris ceux liés aux ruptures potentielles de contrat.
En conclusion, si les PPP représentent une opportunité indéniable pour Madagascar de combler son déficit en infrastructures, leur succès dépendra de la capacité du pays à surmonter les défis juridiques actuels et à offrir un environnement d'investissement plus stable et prévisible. Des réformes ciblées, un investissement dans le capital humain, une volonté politique affirmée de garantir la transparence, la sécurité juridique et la continuité de l'État sont indispensables pour rendre le dispositif PPP plus efficace, plus attractif pour les investisseurs et, in fine, plus bénéfique pour le développement durable du pays.