
24/07/2025
L’histoire de Demba Hamadi Sada est belle, oui. Elle élève. Elle raconte la quête d’un homme, d’un berger peulh, d’un fils du Fouta, parti avec ses bêtes et revenu avec une sagesse. Mais cette histoire ne doit pas servir de rideau pour masquer une autre réalité, bien plus crue, bien plus douloureuse : celle des Peulhs qui, chaque jour, tombent sous les balles, sous les coups, sous les accusations injustes, aux frontières et dans les terres mêmes où ils ont toujours vécu.
Nos frères Agaabé, tués à Kayes, ne seront pas oubliés. Ils ne peuvent pas l’être. Car derrière chaque berger il y a une mémoire, derrière chaque troupeau il y a une histoire, et derrière chaque Peulh assassiné, il y a tout un peuple qui saigne.
Ce n’est pas la première fois qu’un Peulh traverse des frontières avec ses troupeaux. Cela fait partie de notre identité, de notre histoire pluriséculaire, bien avant la création artificielle de lignes sur des cartes. Ces frontières ne sont pas les nôtres. Elles divisent les États, pas les peuples. Le sang peulh ne s’arrête pas au poste-frontière.
Alors que cette légende circule, que certains s’en émerveillent, nous, nous demandons justice. Car on ne peut pas louer un Peulh pour son courage et sa résilience, tout en fermant les yeux sur les massacres, les stigmatisations et les injustices dont ses frères sont victimes du Mali au Burkina, du Nigeria à la Centrafrique, de Kayes à Sélibaby.
Ce message n’est pas contre Demba. Il est contre l’hypocrisie. Contre ceux qui nous célèbrent d’un côté, mais qui nous haïssent de l’autre. Contre ceux qui veulent faire de notre culture un folklore sans jamais en respecter les souffrances.
Non, notre douleur ne sera pas un décor pour vos vidéos.
À nos frères tombés : nous ne vous oublions pas. À nos frères survivants : restons unis, fiers, solidaires. Et à ceux qui veulent faire taire notre voix : sachez que le vent du Fouta, du Macina, du Liptako-Gourma, de la vallée du fleuve, continuera de porter nos paroles — franchissant vos frontières sans visa
On applaudit aujourd’hui l’histoire de Demba Hamadi Sada — ce berger peulh qui revient auréolé de gloire après des années de transhumance. On l’appelle "roi", on parle de légende, on s’émerveille. C’est bien. Mais rappelons à ceux qui l’ignorent — ou feignent de l’ignorer — que ce que Demba incarne n’a rien d’un phénomène nouveau.
L’élevage transfrontalier est une tradition peulh, ancienne comme le vent du Sahel. De la vallée du fleuve aux savanes du Macina, nos aïeux ont toujours déplacé leurs troupeaux bien avant que les frontières ne soient tracées à la règle dans les bureaux coloniaux.
Alors ne venez pas célébrer aujourd’hui ce que vous criminalisez hier.
Ne faites pas de l’élevage un conte folklorique quand vous fermez vos frontières à nos frères.
Ne faites pas d’un berger une star sur vos réseaux alors que vous laissez d’autres se faire tuer pour avoir simplement suivi la même route.
À Kayes, nos frères Agaabé sont tombés. Pas pour un crime, mais pour avoir marché là où leurs pères ont marché. Le sang des Peulhs coule, pendant qu’on fait des vues sur la vie d’un seul.
C’est beau de célébrer un homme. Mais c’est lâche d’oublier un peuple.
Nous ne voulons pas vos médailles.
Nous voulons le respect de nos droits.
Le droit de circuler, de paître, de vivre comme l’ont fait nos ancêtres.
Le Fouta n’est pas un musée. Le Macina n’est pas un décor. Et les Peulhs ne sont pas un contenu viral.
Rendez à César ce qui appartient à ses ancêtres.
Rendez aux Peulhs leur dignité, leur sécurité, leur terre, leur paix.