29/04/2025
En me replongeant dans Les grands cimetiĂšres sous la lune de Georges Bernanos, jâai Ă©tĂ© saisi par une rĂ©flexion de lâauteur sur la grandeur dâun homme dâĂtat. Bernanos Ă©crit : « La grandeur est un perpĂ©tuel dĂ©passement. » Cette idĂ©e dâun dĂ©passement de soi, dâune Ă©lĂ©vation au-delĂ des contingences personnelles, mâa immĂ©diatement ramenĂ© Ă la rĂ©cente prestation dâOusmane Sonko Ă lâAssemblĂ©e nationale. Une prestation, oui, le mot nâest pas choisi au hasard. Car avec le Premier ministre, la frontiĂšre entre politique et spectacle semble toujours tĂ©nue. Ses saillies, son sens de la rĂ©partie, ses attaques ciselĂ©es font le bonheur des sites dâinformations et des rĂ©seaux sociaux oĂč ses interventions sont dissĂ©quĂ©es, cĂ©lĂ©brĂ©es, parfois moquĂ©es.
Lors de cette allocution, Sonko a fait feu de tout bois, non sans une pointe de mĂ©galomanie. Ă un moment, il a lancĂ©, avec une assurance frĂŽlant lâegotrip des rappeurs : « Je suis politiquement indestructible. » Cette phrase, qui rĂ©sonne comme un Ă©cho au « I will not lose, ever » de Jay-Z dans U Donât Know, mâa interpellĂ©. Elle rĂ©vĂšle une confiance en soi indĂ©niable, mais aussi une forme de narcissisme qui questionne. Peut-on imaginer des figures comme Nelson Mandela, Mahatma Gandhi ou Mamadou Dia â souvent comparĂ© Ă Sonko pour sa rĂ©silience face Ă la persĂ©cution â prononcer une telle phrase ? Ces hommes, confrontĂ©s Ă lâadversitĂ©, ont incarnĂ© un dĂ©passement de soi, une humilitĂ© dans lâĂ©preuve, une capacitĂ© Ă rassembler au-delĂ de leur personne. Mandela, mĂȘme aprĂšs 27 ans de prison, a choisi la rĂ©conciliation plutĂŽt que le ton vindicatif permanent. Dia, brisĂ© par lâincarcĂ©ration, nâa jamais cĂ©dĂ© Ă lâautoglorification.
Chez M. Sonko, cette tempĂ©rance, cette sagesse qui font les grands hommes dâĂtat, semble parfois manquer. Est-ce la fougue de la jeunesse ? Ou un trait plus profond de sa personnalitĂ© ? LâĂ©crivain Boubacar Boris Diop, peu suspect de « sonkophobie », pointait dĂ©jĂ en 2023 un talon dâAchille : « Le risque pour lui est de penser quâil est populaire et que cela suffit. MalgrĂ© toutes ses vertus, je pense quâil nâest pas prĂȘt Ă diriger un pays. » Cette observation, formulĂ©e lors dâun entretien avec le journal espagnol El PaĂs, Ă©claire un dĂ©faut majeur : Sonko sâadresse moins au peuple sĂ©nĂ©galais dans son ensemble quâĂ son camp, Ă ses fervents supporters, Ă cette majoritĂ© qui a portĂ© Bassirou Diomaye Faye au pouvoir. Ce faisant, il sâĂ©loigne de certains de ses propres engagements. Ă Bignona, durant la campagne Ă©lectorale, il dĂ©clarait : « Les SĂ©nĂ©galais veulent retrouver leur unitĂ©, leur joie de vivre, leur fraternitĂ©. » Cette aspiration Ă lâunitĂ© nationale, Ă une joie collective, semble aujourdâhui Ă©clipsĂ©e par des discours clivants, taillĂ©s pour galvaniser une base plutĂŽt que pour fĂ©dĂ©rer une nation.
Pourtant, Ousmane Sonko ne manque pas dâatouts pour prĂ©tendre Ă la stature dâun grand homme dâĂtat. Son courage face aux Ă©preuves, son charisme, sa rĂ©silience et sa popularitĂ© sont indĂ©niables. Mais pour rĂ©aliser ce potentiel, il devra sortir de lui-mĂȘme, transcender son ego et embrasser une vision qui dĂ©passe les cercles de ses partisans. Comme le disait Abraham Lincoln, autre figure emblĂ©matique de lâhistoire : « Vous devez laisser tomber vos ambitions personnelles pour accomplir de grandes choses pour votre peuple. » Cette capacitĂ© Ă sâeffacer au profit dâun projet collectif est ce qui distingue un leader populaire dâun vĂ©ritable homme dâĂtat.
Sonko se trouve Ă un carrefour. Il peut continuer Ă briller dans lâarĂšne du spectacle politique, Ă captiver par ses punchlines et son aura dâ« indestructible ». Ou il peut choisir le chemin plus ardu du dĂ©passement, celui qui demande humilitĂ©, Ă©coute et rassemblement.