Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie

Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie Cette Page a pour but de contribuer à la diffusion des articles et numéros publiés sur le site de la r***e Ethiopiques. Pourquoi Ethiopiques ? Certainement pas.

Éthiopiques est une r***e négro-africaine de littérature, de philosophie, de sociologie, d’anthropologie et d’art, dont le titre fait référence au recueil de poésie éponyme de Léopold Sédar Senghor, publié en 1956. Quoiqu’éditée à Dakar, cette r***e se veut à orientation panafricaine. Le premier numéro est sorti en janvier 1975. Trimestrielle de 1975 à 1988, la parution de la r***e est devenue sem

estrielle en 1989. Senghor a été Président d’honneur de son Conseil de rédaction et l’un des principaux contributeurs en termes d’articles à publier. La totalité des articles sont consultables en ligne.

1. EDITORIAL : POURQUOI ETHIOPIQUES ? Léopold Sédar Senghor

Ethiopiques numéro 01
r***e socialiste
de culture négro-africaine
janvier 1975

Auteur : Léopold Sédar Senghor

Dans notre monde en crise depuis la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus, sauf, dans les universités - et encore ! -, de r***e purement culturelle.ETHIOPIQUES se veut donc une r***e politique et une r***e culturelle en même temps, une r***e « socialiste » et une r***e « de culture négro-africaine ». Cette juxtaposition d’une option idéologique et d’une réalité culturelle vient, à son heure, combler une lacune. En effet, malgré de nombreux efforts, et méritoires, près de quinze ans après les indépendances de 1960, il n’existait pas en Afrique noire francophone de publication à caractère théorique où débattre de l’ensemble des problèmes qui se posent à nos Etats, engagés dans l’impitoyable bataille du développement - nous ne parlons pas de la seule croissance économique. Faute de doctrine ? Nombre d’Etats négro-africains ont, depuis 1960 et même avant, lancé un mouvement de libération culturelle ou tracé une voie originale vers le Socialisme. Il fallait seulement songer à mener, non pas parallèlement mais en convergence, les développements économique et culturel. Pourquoi le Socialisme ? Parce que, comme le disait Marx dans un manuscrit inédit, dont nous avons extrait la phrase en exergue, il faut, d’abord, par la planification économique et la croissance de la production, satisfaire les besoins animaux - manger, se loger, se vêtir, se soigner - afin de permettre aux hommes de se livrer à leur « activité générique », qui est de créer des oeuvres d’art et d’en j***r. Sur la base de la liberté, de 1’initiative et de l’imagination, c’est-à-dire du socialisme authentique, offrir, aux Africains et aux amis de l’Afrique, une structure pour un dialogue, amorcé ailleurs, voilà donc la première justification d’ETHIOPIQUES. Certains nous feront, peut-être, remarquer qu’en choisissant le Socialisme, nous commençons par emprunter à une théorie extra-africaine. A ceux-là, nous répondrons, d’abord, que cette doctrine, sous sa forme d’organisation collective de la production et de la justice sociale, n’était pas étrangère à notre continent. II y a aussi que nous refusons de nous enfermer dans un ghetto. Cependant, il est question d’adapter le Socialisme aux particularités concrètes et actuelles de nos pays, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la lutte des classes et l’art. A Heinz Starkenburg, qui lui demandait quelle est la place que tiennent la race et l’individu dans la conception de l’histoire de Marx et d’Engels, ce dernier répondait, le 25 Janvier 1894 : « Nous considérons les conditions économiques comme ce qui conditionne, en dernière instance, le développement historique. Or la race est elle-même un facteur économique ». Pourquoi une r***e « de culture négro-africaine » ? Nous répondrons plus longuement dans le prochain numéro. Qu’il nous suffise, aujourd’hui, de répondre par quelques arguments, vitaux et de bons sens. A ceux, Grands-Blancs et intellectuels n***es « récupérés », qui nous demandent de « dépasser la Négritude », c’est-à-dire, au sens du dictionnaire Robert, l’ensemble des caractères, des manières de penser, de sentir propres à la race noire », nous répondrons qu’un zèbre ne peut se défaire de ses zébrures sans cesser d’exister en tant que zèbre. Nous n’avons pas le goût du su***de collectif. Ni individuel. Nous avons regardé autour de nous, et nous avons vu, depuis deux siècles, à tous les horizons et sur tous les continents, des hommes et des femmes qui appartenaient à la même nation, à la même ethnie, au même continent, se lever, se chercher, se retrouver. Nous les avons vus, ainsi rassembles, creuser leur terre, leur histoire, leur littérature, leur art pour découvrir, avec leurs sources, leur identité culturelle, voire biologique. Ce furent, près de nous, nos frères les Arabes, ailleurs les Japonais, puis les Chinois innombrables. Mais, depuis le XVIIe siècle, les Européens du Nord, du Centre et de 1’Est les avaient précédés : les Scandinaves, les Allemands, les Slaves...
C’est le journal Le Monde, journal de gauche s’il en rut, qui, parlant du succès d’Arafat à l’ONU, commençait son éditorial du 15 Novembre par ces mots : « L’événement montre à quel point les différends tenant à la race, aux nationalités et aux religions transcendent, en quelque sorte, les querelles politiques ». Et nous voyons les idéologies politiques elles-mêmes - qu’est-ce que cent ans dans 1’Histoire ? - rendre hommage aux idéologies plus anciennes de la nation et de l’ethnie Et c’est maintenant aux partis de gauche, voire d’extrême gauche, en Europe, de faire de profession de patriotisme : de proclamer leur attachement aux valeurs nationales. Encore une fois, il n’est pas question que la r***e ETHIOPIQUES s’enferme dans un ghetto, rut-il de la Civilisation noire, ni dans les limites du Sénégal, où elle a son siège. Sa rédaction réunit, fraternellement, des Noirs et des Blancs. Si elle est essentiellement, « une r***e socialiste de culture négro-africaine », elle n’en est pas moins ouverte a tous les Africains, noirs et blancs. Par-delà l’Afrique, elle l’est aussi à nos amis des quatre autres continents, mais, plus particulièrement, aux hommes et aux femmes de la Diaspora noire. C’est dans le même esprit que nous procéderons à des échanges avec les autres r***es du continent et du monde. La Civilisation noire n’est qu’un aspect de la Civilisation de l’Universel que toutes les ethnies doivent bâtir, ou périr, ensemble celle-ci ne serait pas intégrale, elle ne serait pas humaine s’il y manquait un seul aspect de la condition humaine. C’est à bâtir cette civilisation panhumaine que travaillera ETHIOPIQUES. Comme un ouvrier de la « onzième heure ».

27/07/2025


(L. S. Senghor, Que m'accompagnent kôras et balafong, in Chants d'Ombre, strophe 7)

18/07/2025

Hommage à Madiba

Poésie
ROUGE EST LE SANG DU NEGRE
Djibril SALL

Ethiopiques numéro 26
révue socialiste
de culture négro-africaine
avril 1981

Auteur : Djibril Sall

A Nelson MANDELA

Tout est sombre autour de moi
Mes idées sont baillonnées
Et le monde marche à l’envers
Dieu ! Je suis seul sur le balcon de la Vie
Et le parvis de l’Enfer fleuri de cris
de crépitements d’étincelles d’odeur de chair
rythme danse de SATAN libéré
Satan couronné de Satan mage. ..BACCHUS est de la fête
Aujourd’hui l’eau de vie coulera
du puits de l’injustice et de l’honneur piétiné
jusqu’à la lie du fût de l’oubli
puis... l’inconscience dressera ses remparts :
- Venez c’est l’archie dans la misère profonde
La mère étrangle son enfant et s’asperge de son sang
- L’enfant décapite son père et lapide sa mère et de
l’autre côté l’inceste se défoule dans le pêché
Dieu ! je suis seul sur le balcon de la vie
et ne m’y reconnais plus...
Ici des regards furtifs se croisent
écrasés comme une ombre sur la potence du rêve -
Mimétisme voulu dans le glacis de l’extraversion
devant le piédestal du mal incarné
Les espoirs s’effeuillent les espérances se figent
les vérités sont tues les mensonges clamés à la criée
dans le deuil plâtré et pernicieux de la parole castrée
Nul n’a plus de langue nul n’a plus d’yeux :
Il faut écouter croiser les bras et attendre
que les rideaux de calicot tombent sur le Silence glacial
de l’amertume étouffée et de voluptés séniles ;
Venez ! venez ! c’est le banquet de la peur de la faim
de la terreur :
Le fossoyeur le bourreau le gardien de cimetière
sont aux premières loges vêtus de pourpre
« Ici ne sont admis que les candidats à la mort noire
à la mort accidentellement provoquée, brumeuse et maquillée »
Dieu ! je suis seul sur le balcon de la vie
et ne reconnais plus ce monde sanguinaire inutile et caustique
Mon espoir étendu sur un fil pourri
respire un parfum mortel
et de temps en temps je me révolte
Devant l’Eternité une belle-de-nuit aux fleurs éclatées
répand dans la nuit naissante une odeur de poison
et de mort avortée
Mon avenir n’est pas rose
Celui des autres est morose.
C’est la confusion totale et le mal est roi.
Cruel destin !
Je n’ose plus garder - mon ombre me traque
Elle est là embusquée se confondant avec elle-même
raclant les murs les oreilles aux aguets.
Mais je ne dirai plus rien même à moi-même.
Et voilà que l’on viole mon silence :
« Vous avez une fois pensé à vous su***der »
Et c’est le procès et c’est la valse des avocats.
Cinq ans de prison pour avoir pensé à me su***der
Inquisition !
Maintenant il faut descendre dans les obscures geôles
Adieu Soleil !
Adieu lune !
Adieu tout le monde !
Cinq ans de prison ! - C’est la mort avant terme
C’est la mort au ralenti
Ah laissez-moi rédiger mon testament -
Au fait pourquoi ? - Puisque je n’ai rien à léguer
Mais si... la vérité une - la vérité non tronquée
Elle triomphera un jour dans le sang giclant de partout
Et de mon trou de proscrit je rirai
et mon rire comme tonnerre fera trembler la terre
et les crevasses immenses engloutiront mensonges
et vendeurs de promesses raccommodées
Je n’ai rien fait- Je l’ai dit et crié tout haut
Ils n’ont voulu entendre que la voix absurde
de la vengeance.
Ils assassinent l’innocence sur le chemin négatif
de la force aveugle.
Pas de remise de peine
pas d’amnistie
pas de grâce
Ni pleurs
Ni soupirs
Ni prières
Ne ramollissent leur cœur de pierre
Ils sont de marbre et leur conscience de granit
Dieu ! Je suis seul sur le balcon de la vie,
et ne reconnais plus ce monde inhumain.
Quand sonnera le glas de tout cela ?
Je ne sais pas -
Mais ce jour là la vérité triomphera
et l’on saura que rouge est le sang du n***e
et que rouge est le sang des autres.
Nouakchott
Dakar
Lagos, Août 1980

18/07/2025

"Chaka (il se réveille en sursaut)
Non non Voix blanche, tu le sais bien...

La voix blanche
Que le pouvoir fut bien ton but...

Chaka
Un moyen...

La voix blanche
Tes délices...

Chaka
Mon calvaire.
Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins
de l'horizon soumis à la règle, à l'équerre et au
compas
Les forêts fauchées les collines anéantis, vallons et
fleuves dans les fers.
Je voyais les pays aux quatre coins de l'horizon sous
la grille tracée par les doubles routes de fer
Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière
de silence
Au travail. Le travail est saint, mais le travail n'est plus
le geste
Le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des
saisons.
Peuples du Sud
dans les chantiers, les ports les mines
les manufactures
Et le soir ségrégés dans les kraals de la misère.
Et les peuples entassent
des montagnes d'or noir d'or
rouge - et ils crèvent de faim.
Et je vis un matin, sortant de la brume de l'aube, la
forêt des têtes laineuses
Les bras fanés le ventre cave, des yeux et des lèvres
immenses appelant un dieu impossible.
Pouvais-je rester sourd à tant
de souffrances bafouées?

La voix blanche
Ta voix est rouge de haine Chaka...

Chaka
Je n'ai haï que l'oppression...

La voix blanche
De cette haine qui brûle le cœur.
La faiblesse du cœur est sainte, pas cette tornade de
feu.

Chaka
Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.
Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous
l'oppression
De fraternité sans
égalité. J'ai voulu tous les hommes
frères."

Chaka ( aux martyrs bantous de l'Afrique du Sud ), chant 1. Hommage au grand homme Nelson Mandela pour le Mandela Day. Poème dramatique à plusieurs voix sur un fond sonore de tam-tam funèbre de L. S. Senghor, in Ethiopiques, extrait. Une pensée à tous les peuples opprimés, notamment aux Palestiniens victimes de l'Apartheid.

29/06/2025

26/06/2025

À Aimé Césaire
>
(L. S. Senghor, Lettre à un poète, in Chants d'Ombre. )

26/06/2025

Hommage à Aimé Césaire né le 26 juin 1913

2. Poèmes
POUR CHANTER AIME CESAIRE
Amadou Lamine SALL

Ethiopiques numéro spécial.
Hommage à A. CESAIRE
2ème semestre 2009

Auteur : Amadou Lamine SALL [1]

« Nous avons livré aux ténèbres un être resplendissant qui chaque jour nous offrait une étoile », P. Néruda

La nouvelle est arrivée dans la
petite robe du jour pétrifié
et toutes les fleurs des langues se sont écloses
dans l’hémorragie du silence tant la douleur a pris entre
ses dents tous les cœurs...
A vous savoir mort Aimé
la mer est morte pour nous
le soleil mort
la terre morte
les mornes désenchantés
les îles des bibelots pierreux
le ciel une muraille fermée aux oiseaux
les volcans ont fermé leurs pages de lave
et ne seront plus des volcans mais des termitières
les livres sont insipides
les mots en faillite voyageurs sans bourse
la poésie entame sa solitude
elle pleure le mari indomptable l’amant infernal
désormais elle donnera des enfants dont
personne ne voudra plus après toi...
Voici que les arbres entament le dernier bal
les racines rebroussent chemin
les fruits retournent aux fleurs
les fleurs aux bourgeons
les bourgeons aux feuilles
les feuilles aux tiges
les tiges aux pousses
les pousses aux murmures de la bouture
la bouture est sans terre
la terre est sans eau
les pluies sont parties habiter des nuages de bois
le néant comme ta mort Aimé
annule toutes les fièvres de nos élans
et la bouture est retournée aux gestes morts du planteur
et le planteur a clos le rêve de l’arbre
dans sa case il te pleure Aimé
toi la semence nerveuse du python
et comme le semeur nous te pleurons Césaire
car tu étais la terre première le sillon vital
le chant des vents la saison des grands orages
les rires des bananes la promesse des goyaves
et avec toi la canne à sucre a rebaptisé pour
toujours les routes de la sueur
les livres des n***es réécrits à l’encre de la lumière
et l’honneur un tapis de satin interminable...
La nouvelle est arrivée dans le petit jour
ce petit matin dont tu resteras le seul maître de langue
ce petit matin baptisé de ton nom
qui dira le petit matin
qui habitera le petit matin
sans nommer la parole de ta parole
ta parole bourdonnante
ta parole de rafale et de salve de canons
ta parole de rapides et de chutes du Zambèze [2] ?
Qui te nommera sans nommer
l’oxygène naissant de ta parole ?
Depuis cet avril du 17ème jour
le soleil n’est plus le soleil
l’île n’est plus une île
et la Martinique n’est plus seulement la Martinique
elle abrite un tombeau plus grand que son nom
un tombeau qu’elle ne veille pas seule
qu’elle ne veillera plus jamais seule...
Aimé Césaire est la terre de l’Humain
Aimé tu es le Noir tu es le Blanc
tu es le Jaune Aimé tu es le Bantou
tu es le Mandingue le Tutsi le Haoussa le Diola
le Berbère le Toucouleur le Bété
tu es le lieu de toutes les parallèles
toutes les convergences souffrantes
la clairière de toutes les dignités irréductibles
en toi tu as décousu toutes les insultes
toutes les humiliations des fils de Cham
toi le n***e de toutes les couleurs
toi l’alliage du rubis et du buisson
Depuis la nuit noire de ce petit matin d’avril
beaucoup de nids sont tombés
les abeilles ont donné des ruches de miel amer
les champs se sont donné aux
flammes des feux de brousse
les métaphores habitent le vide et l’ennui
le rythme a sauté sur cent mines et
a perdu ses jambes
la poésie a crevé ses tambours amputé ses flûtes
la colère nourricière de ta
langue a mangé toute autre colère...
Quel poème aura la rage de tes
reins le délire de ton sang ?
Quelle poésie nous donnera d’autres enfants viriles ?
Combien de poètes écriront des vers
qui ne connaîtront jamais la virginité du matin ?
Combien de poètes hallucinés venus de terres
irréelles seront triés à la table des dieux ?
Aimé
merci pour la foudre royale merci pour la rage des vents
pour les étoiles d’or l’âge d’or la parole rougeoyante
merci pour le front cabré la dignité bleue du messager
merci pour le faste des voiles le gouvernail souverain
merci pour la ruse des baleines le chant de la race
pour le yéla [3] des marins la mémoire
heureuse de Kounta Kinté [4]
merci pour l’Afrique délivrée des tiques
des quolibets et des puanteurs
lavée des vomisseurs
exempte de toute honte
l’Afrique comme le cœur collectif de la terre
l’Afrique ressuscitée et belle comme la promesse
d’un pagne qui tombe dans l’abandon d’une hanche
l’Afrique lisse rendue à ses jardins de miel
merci pour le Congo Aimé ce Congo à qui
tes consonnes ont rendu ses minerais et
renommé les lettres pourpres de Lumumba [5]
et Haïti dressée comme un étendard ventru d’un
bout à l’autre des océans
Haïti chantée Toussaint Louverture [6] clamé
et tout le cri n***e déverrouillé...
Merci d’avoir fait de Sédar dans la fécondité des
moussons et les tempêtes des Caraïbes la
mémoire retrouvée du sang et de la peau
et vois-tu il pleut ton nom sur Joal [7]
et les lamantins en procession vendent
leurs complaintes aux danses des vierges de Simal [8]
il est dit que tu es intronisé éléphant de Mbissel [9]...
Elle est presque guérie notre douleur
guérie par la douleur de ta douleur toute bue
depuis l’aube des n***es
de tes déchirures depuis l’aube des grands ours
elle est guérie maintenant notre douleur
guérie par le bouillon chaud de tes mots
la clameur de feu du nouveau sang d’une
langue dont nous avons écouté l’aveu
dont nous avons entendu le galop sauvage
sans que l’étalon hennissant ne
piétine l’élégance des vieux maîtres de France
d’une langue dont tu as annulé tous les tombeaux
fermé tous les hivers au coutelas
d’une langue faite diamant que tu as abritée sous
un printemps sans fin
d’une langue qui porte les enfants multicolores de
la France de demain une France démesurée et belle
d’une langue qui porte la France plus loin que la France
d’une langue qui dit la France plus grande que la France
une France mieux ouverte à la différence [10]
mieux ouverte aux identités
d’une langue qui invente la France plus solidaire
qui recommence la France féconde
qui pardonne à la France qui s’égare
qui prédit la France plus généreuse que la France
la France plus apte à honorer la France
la France qui ne laissera plus les
roseaux au bord des marais
cette France des barbares morts que le poète a tués...
Et voici venu le temps inattendu
voici que par ta voix Aimé la
Négritude a créé le Blanc
et le Blanc rêve de Toussaint de
Samory de Soundiata de Mandela
il rêve de l’arc-en-ciel des filles
noires de la savane sexe de gazelle bleue
bouche de jujube...
Aimé tu as fait naître et grandir dans le panier de la
Créolité une langue de France remontée du
plus bas de la fosse
des Serments de Strasbourg [11] tu as refait les
Serments de Fort-de-France
et une langue de grâce et d’armure est née
une langue de lave et de révolte s’est levée
une langue aux mille portes aux mille issues
aux mille lions aux mille loups
aux mille Aminata aux mille Isabelle
langue de bateaux aux cales calleuses
langue de vent et de forte houle
langue d’horizons de tours et de brousse sans fin
de sang sans fin langue repue de soleil et d’Amazonie
langue de Zoulou et de Bozo
langue de Charlemagne et de Napoléon
langue de corne de flèche d’épée et de satellite
et dans un unique arbre la greffe a tenu Aimé
terre de Paris racine de Dakar
sève des Seychelles feuille du Liban fleur d’Hanoï
saison d’Egypte pluie du Québec fruits de
Fort-de-France
langue de confiture langue de thé
langue de café langue de riz
langue de couscous langue de poulet bicyclette
rencontre et fraternité
langue d’insolence de bravade et d’amour...
Et voici que le Quai Conti [12]te doit des dettes d’honneur
puissent les intérêts nourrir pour
cent ans la fierté de tes enfants
loin dans les saisons futures des savanes des vallées
des mornes et des colibris...
l’infime merveille du colibri dont tu t’étonnais
toujours qu’un corps si frêle puisse supporter
sans éclater le pas de charge d’un cœur qui bat... [13]
Tu nous as bien guéri de la haine Aimé
car tu es le fils adoptif qui a baptisé le père
la fille qui a donné à téter à la mère
à la France tu as forgé des mots sur
une enclume de citadelle
et le charbon était n***e qui attisait la langue de France
au bout du petit matin
tu as aboli en toi toute blessure pour être un liséré
et la hache en toi s’est muée en aiguille qui coud
Aimé tu as bien été le guetteur et la trompette
la terminaison et l’ensemencement
et les silos de l’esprit débordent de graines neuves
Merci Aimé
merci pour le n***e civilisé jusqu’à la moelle
merci pour la colère cosmique
pour la neige noire et l’hiver tropical
merci pour toutes les portes ouvertes des syllabes
les désinences de l’âme
les retours du henné sur les lèvres de l’exil
merci pour les rois les chevaliers les écuries
les quatre gouttes de sang
merci pour les joies les pleurs les pluies les jardins
les aînés de la récolte disent merci
Depestre Glissant Maunick Lemoine Maximin Carrère
et tous les autres veilleurs de jour
veilleurs de nuit qui cherchent du
front les mêmes étoiles
merci pour les fers les chaînes intérieures enfin vaincues
merci pour le sommeil le repas la monnaie le visa
les blessures refermées la soif de l’école
merci pour le pain quotidien de la langue
merci pour les frontières défuntes [14] de la peau
les cheveux défaits de la parole... la poésie
Aimé
nos larmes ne seront pas celles des anges
eux dansent car est arrivée la flûte enchantée
le haut aigle
la voix ténor de la grande chorale
gorge de bronze des grandes orgues dans
la cadence tendue des mots à naître au ciel
tu nous les descendras Aimé quand Dieu dort...
Aimé
Dieu est en apparat pour de longs siècles dit-Il
Il reçoit dit-Il le dernier aîné des initiés...
Des jours durant pourtant nous l’avons attendri
de nos prières musulmanes
de nos prières chrétiennes
de nos prières païennes
des libations imparables de nos mères
pour que Son décret ne s’accomplisse
le temps d’autres fleurs d’autres fruits...
Mais Dieu aime les poètes
surtout ceux qui ont la foudre dans l’encrier
et toi tu avais et la foudre et l’orage dans l’encrier
et ta plume Aimé des projectiles infaillibles
Dieu t’aimait parce que la poésie t’aimait
et la poésie est l’unique datte dans Sa bouche
dans Ses bras Il t’a pris alors
et t’a couvert de Son Manteau avant que
le 18ème jour ne verdisse pour supplier de te garder
Il te voulait au mois d’avril du 17ème jour
l’avril des manguiers que tu aimais regarder...
Ses mangues te seront plus douces que nos
regards d’amour et de disciples étonnés...
Juin sera le mois des flamboyants et
nous te rechanterons car
les poètes meurent toujours pour nous...
Du Sénégal je te salue avec
mon peuple mes talismans et mes baobabs
nous te saluons par l’ordre alphabétique du tam-tam
N***e fondamental d’Afrique d’abord
Caribéen ensuite au nom de ces tas d’îles [15] belles
mais de sang et de souffrance
Français plus t**d par la ruse de l’histoire
et ton nom par la ruse de l’histoire a
agrandi la France et je prédis demain cette
France ouverte comme un corps de
femme à toutes les caresses d’un
désir proclamé deux jours à genoux...
et tu fus Citoyen du monde enfin parce que
tu as porté toute la terre offensée
parce que tu as été là quand l’Homme s’affaissait
quand l’homme courbait l’homme dans
les sous-sols des abîmes de
l’inhumaine condition
Aimé tu ne te révoltais pas seulement contre l’injustice
mais aussi contre les dieux et
les élégantes crapules [16]
avec ton nom Aimé toi le poète germinal
nos baobabs ne perdront plus leur orgueil
et la poésie aura la perpétuité océanique du
souvenir des baisers d’adieu...
Va Aimé va
point de césure
nous vaincrons les intempéries
nous fermerons le ciel à l’arrogance des princes
la poésie renaîtra à la poésie par ton seul nom
nous gardons le troupeau
parmi les plus belles de tes génisses
va et comme tu le voulais « Nous ne désespérerons pas des lucioles »
Dakar, le 22 avril 2008

[1] Poète, Président de la Maison africaine de la Poésie internationale -MAPI- Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

[2] Fleuve de l’Afrique australe.

[3] Chant et danse célèbres de l’ethnie des Toucouleurs au Sénégal.

[4] Le nom du héros du film dénommé « RACINES ».

[5] Le héros de l’indépendance du Congo, assassiné par le régime belge.

[6] Homme politique et général haïtien.

[7] La cité natale du poète Léopold Sédar Senghor.

[8] Village du Sine cité par Senghor dans ses poèmes.

[9] SENGHOR évoque comme une prière païenne « l’éléphant de Mbissei », Mbissel est un village du Sine.

[10] Extraits de l’oraison funèbre de Serge Letchimy à Fort-de-France.

[11] Ce sont les Serments de Strasbourg qui marquent en l’an 842 l’acte de naissance du français comme langue écrite.

[12] L’Académie française autrement appelée par un détour de langage « Quai Conti », désignant plus précisément l’adresse à Paris de l’Académie française.

[13] Extraits de l’oraison funèbre de Serge Letchimy.

[14] Un recueil de poèmes du poète et écrivain québécois Jean-Louis Roy porte ce titre.

[15] Les mots sont de Césaire.

[16] L’expression est du poète Pablo Néruda.

12/06/2025

>
( L. S. Senghor, Beauté peule, in Poèmes perdus. )

Adresse

Rue Alpha Hachamiyou Tall
Dakar
2035

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Éthiopiques est une r***e négro-africaine de littérature, de philosophie, de sociologie, d’anthropologie et d’art, dont le titre fait référence au recueil de poésie éponyme de Léopold Sédar Senghor, publié en 1956. Quoiqu’éditée à Dakar, cette r***e se veut à orientation panafricaine. Le premier numéro est sorti en janvier 1975. Trimestrielle de 1975 à 1988, la parution de la r***e est devenue semestrielle en 1989. Senghor a été Président d’honneur de son Conseil de rédaction et l’un des principaux contributeurs en termes d’articles à publier. La totalité des articles sont consultables en ligne. 1. Pourquoi Ethiopiques ? EDITORIAL : POURQUOI ETHIOPIQUES ? Léopold Sédar Senghor Ethiopiques numéro 01 r***e socialiste de culture négro-africaine janvier 1975 Auteur : Léopold Sédar Senghor Dans notre monde en crise depuis la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus, sauf, dans les universités - et encore ! -, de r***e purement culturelle.ETHIOPIQUES se veut donc une r***e politique et une r***e culturelle en même temps, une r***e « socialiste » et une r***e « de culture négro-africaine ». Cette juxtaposition d’une option idéologique et d’une réalité culturelle vient, à son heure, combler une lacune. En effet, malgré de nombreux efforts, et méritoires, près de quinze ans après les indépendances de 1960, il n’existait pas en Afrique noire francophone de publication à caractère théorique où débattre de l’ensemble des problèmes qui se posent à nos Etats, engagés dans l’impitoyable bataille du développement - nous ne parlons pas de la seule croissance économique. Faute de doctrine ? Certainement pas. Nombre d’Etats négro-africains ont, depuis 1960 et même avant, lancé un mouvement de libération culturelle ou tracé une voie originale vers le Socialisme. Il fallait seulement songer à mener, non pas parallèlement mais en convergence, les développements économique et culturel. Pourquoi le Socialisme ? Parce que, comme le disait Marx dans un manuscrit inédit, dont nous avons extrait la phrase en exergue, il faut, d’abord, par la planification économique et la croissance de la production, satisfaire les besoins animaux - manger, se loger, se vêtir, se soigner - afin de permettre aux hommes de se livrer à leur « activité générique », qui est de créer des oeuvres d’art et d’en j***r. Sur la base de la liberté, de 1’initiative et de l’imagination, c’est-à-dire du socialisme authentique, offrir, aux Africains et aux amis de l’Afrique, une structure pour un dialogue, amorcé ailleurs, voilà donc la première justification d’ETHIOPIQUES. Certains nous feront, peut-être, remarquer qu’en choisissant le Socialisme, nous commençons par emprunter à une théorie extra-africaine. A ceux-là, nous répondrons, d’abord, que cette doctrine, sous sa forme d’organisation collective de la production et de la justice sociale, n’était pas étrangère à notre continent. II y a aussi que nous refusons de nous enfermer dans un ghetto. Cependant, il est question d’adapter le Socialisme aux particularités concrètes et actuelles de nos pays, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la lutte des classes et l’art. A Heinz Starkenburg, qui lui demandait quelle est la place que tiennent la race et l’individu dans la conception de l’histoire de Marx et d’Engels, ce dernier répondait, le 25 Janvier 1894 : « Nous considérons les conditions économiques comme ce qui conditionne, en dernière instance, le développement historique. Or la race est elle-même un facteur économique ». Pourquoi une r***e « de culture négro-africaine » ? Nous répondrons plus longuement dans le prochain numéro. Qu’il nous suffise, aujourd’hui, de répondre par quelques arguments, vitaux et de bons sens. A ceux, Grands-Blancs et intellectuels n***es « récupérés », qui nous demandent de « dépasser la Négritude », c’est-à-dire, au sens du dictionnaire Robert, l’ensemble des caractères, des manières de penser, de sentir propres à la race noire », nous répondrons qu’un zèbre ne peut se défaire de ses zébrures sans cesser d’exister en tant que zèbre. Nous n’avons pas le goût du su***de collectif. Ni individuel. Nous avons regardé autour de nous, et nous avons vu, depuis deux siècles, à tous les horizons et sur tous les continents, des hommes et des femmes qui appartenaient à la même nation, à la même ethnie, au même continent, se lever, se chercher, se retrouver. Nous les avons vus, ainsi rassembles, creuser leur terre, leur histoire, leur littérature, leur art pour découvrir, avec leurs sources, leur identité culturelle, voire biologique. Ce furent, près de nous, nos frères les Arabes, ailleurs les Japonais, puis les Chinois innombrables. Mais, depuis le XVIIe siècle, les Européens du Nord, du Centre et de 1’Est les avaient précédés : les Scandinaves, les Allemands, les Slaves... C’est le journal Le Monde, journal de gauche s’il en rut, qui, parlant du succès d’Arafat à l’ONU, commençait son éditorial du 15 Novembre par ces mots : « L’événement montre à quel point les différends tenant à la race, aux nationalités et aux religions transcendent, en quelque sorte, les querelles politiques ». Et nous voyons les idéologies politiques elles-mêmes - qu’est-ce que cent ans dans 1’Histoire ? - rendre hommage aux idéologies plus anciennes de la nation et de l’ethnie Et c’est maintenant aux partis de gauche, voire d’extrême gauche, en Europe, de faire de profession de patriotisme : de proclamer leur attachement aux valeurs nationales. Encore une fois, il n’est pas question que la r***e ETHIOPIQUES s’enferme dans un ghetto, rut-il de la Civilisation noire, ni dans les limites du Sénégal, où elle a son siège. Sa rédaction réunit, fraternellement, des Noirs et des Blancs. Si elle est essentiellement, « une r***e socialiste de culture négro-africaine », elle n’en est pas moins ouverte a tous les Africains, noirs et blancs. Par-delà l’Afrique, elle l’est aussi à nos amis des quatre autres continents, mais, plus particulièrement, aux hommes et aux femmes de la Diaspora noire. C’est dans le même esprit que nous procéderons à des échanges avec les autres r***es du continent et du monde. La Civilisation noire n’est qu’un aspect de la Civilisation de l’Universel que toutes les ethnies doivent bâtir, ou périr, ensemble celle-ci ne serait pas intégrale, elle ne serait pas humaine s’il y manquait un seul aspect de la condition humaine. C’est à bâtir cette civilisation panhumaine que travaillera ETHIOPIQUES. Comme un ouvrier de la « onzième heure ».