24/05/2025
📜 LA VOIX DE LA HAINE
Conte du vieux griot Yékina Dabou
🔥
Yékina s’est levé lentement.
Sa canne n’était pas un appui, mais un témoin.
Il fixait le cercle.
Ses yeux étaient deux calebasses pleines de souvenirs.
« Vous voulez que je parle ? Soit.
Mais que personne ne m’interrompe… même pas le vent.
Car ce que j’ai à dire vient d’avant vos querelles,
d’avant vos uniformes,
et d’avant vos drapeaux sans racines. »
Il cracha à côté du foyer.
Pas par mépris.
Mais pour poser un sceau sur la terre.
Et il commença :
🌾
« Quand la case brûle,
on ne demande pas quel clan l’a construite.
On prend de l’eau.
On éteint.
Mais vous…
Vous comptez les flammes.
Vous les mesurez.
Vous les accusez.
Vous dites : ‘Cette braise est du Sud.’
‘Ce toit craque car il n’est pas de notre lignée.’ »
« Moi je vous le dis, enfants aux machettes propres et aux esprits sales :
Ce n’est pas la diversité qui vous a divisés.
C’est l’oubli.
Vous avez oublié les palabres.
Oublié la honte.
Oublié que le roi…
n’est roi…
que tant que le griot le nomme… au lever du jour. »
Il tourna la tête vers l’Est,
là où l’aurore attend encore d’être crue.
🌑
« J’ai vu Kéléwan, le fils de la première femme.
Il parlait toutes vos langues.
Il dansait tous vos rythmes.
Mais vous l’avez enfermé dans une chambre noire,
croyant qu’il faisait trop d’ombre.
Ce n’était pas de l’ombre.
C’était votre propre refus de voir clair. »
Il leva son bâton, lentement :
« Et maintenant…
vous marchez dans un royaume sans lampes. »
« Vous croyez que vos fléchettes protègent le royaume ?
Elles protègent seulement vos sièges.
Mais un siège n’est pas un trône.
Et un trône sans respect devient juste un tabouret volé. »
Le feu gémit. Quelques têtes se baissèrent.
🕯️
« Moi, Yékina Dabou, je vous le dis :
Si vous ne redonnez pas voix aux voix étouffées,
Si vous ne partagez pas la lumière avec ceux que vous avez enfermés,
Vos propres enfants… naîtront dans la nuit.
Et ils vous accuseront,
non pas de les avoir trahis,
mais de n’avoir jamais essayé d’aimer
ce qui n’était pas votre reflet. »
Il s’assit.
Et dans un dernier souffle :
« Je n’ai pas parlé pour que vous m’applaudissiez.
J’ai parlé pour que demain,
quand la poussière retombera,
vous sachiez…
qu’un vieux…
vous avait prévenu. »