04/01/2024
rouler dans la farine
Succès Masra a pris officiellement ce 2 janvier 2023 les rênes d’un gouvernement dans lequel il est ultra minoritaire. En acceptant ce qu’il critiquait et rejetait il y a juste un an, le leader des transformateurs mesure-t-il les risques d’une fonction aussi exposée que celle de premier ministre ?
2 ministères et 1 secrétariat d’état dans un gouvernement pléthorique composé de 41 portefeuilles. On peut dire que la pêche aura été maigre pour Succès Masra et Les Transformateurs. Ceux qui pensaient que la désignation de l’opposant le plus farouche à la transition allait changer quoi que ce soit au Tchad repasseront. La realpolitikk du cartel entourant Mahamat Idriss Déby a fait mordre la poussière à celui qui promet depuis 2018 la transformation de notre pays.
Deux questions en guise d’axes d’appréciation après la nomination de ce 3ème exécutif depuis le décès d’Idriss Déby Itno en avril 2021 s’imposent.
1) Quels changements attendre de ce gouvernement Masra ?
2) Quelle marge de manœuvre aura-t-il ?
De but en blanc on peut dire sans risque de se tromper que rien ne changera. L’homme de la transformation ne pourra rien faire (même s’il le souhaite) en étant ultra minoritaire dans cet attelage qui ressemble à s’y méprendre à celui qui l’a précédé.
Aucune soutien gouvernemental
Tout d’abord un chef de gouvernement a besoin (au-delà du soutien du Président de la République) de ministres à son service et de réseaux d’informations pour le tenir au fait de ce qui se trame autour de lui presque en temps réel. Dans le cas de figure présent, 38 des ministres qui composent ce gouvernement agissent et prêchent pour leur propre chapelle ou son d’allégeance au président de transition. Succès Masra est de facto isolé ; d’autant plus que les quelques personnes sur lesquelles il peut compter sont des novices dans l’exercice ministériel. Qui de Sitak Yombatinan Béni (Justice), de Ndolembaye Sadé Njessada (Éducation nationale), de Mahamat Assouyouti (Économie) peut se targuer de maîtriser les arcanes et les réseaux gouvernementaux ? Aucun !
D’autre part, Succès Masra n’a pas de marge de manœuvre pour réaliser quoi de ce soit de concluant, pour agir et faire la différence avec ses prédécesseurs lorsqu’il s’agira de dresser un bilan (rendez-vous dans 100 jours pour un 1er état). Il pèse dans cet attelage moins que le ministre des Finances, moins que le ministre des Affaires étrangères et même moins que la ministre du Genre de part 1) leur longévité au gouvernement ou leur stature internationale et 2) de par leur proximité avec celui qui détient tout les pouvoirs au Tchad ( que ce soit à travers une charte taillée sur mesure et grâce à l’armée). En acceptant cette fonction on pouvait dire qu’il s’agissait d’une stratégie sur le long terme. Mais en paraphant le décret qui formalise ce gouvernement, Succès Masra ne devient plus qu’une chimère politique (et ce tant qu’il sera dans cette situation minoritaire).
Sa mission
Dans sa 1ère déclaration il émet le souhait de « remettre les enfants à l’école ». Sachant qu’aujourd’hui ce qui bloque le retour des enseignants dans les salles de classe est le non-respect par le gouvernement du paiement d’arriérés de primes datant de 2016 (de cette fameuse période des 16 mesures), il lui faudra plus que son charme politique et des promesses. Il lui faudra trouver cette enveloppe pour satisfaire les revendications des instituteurs.
A l’instar de cette volonté d’en finir avec la grève des instit’, il ne faut pas que Succès Masra se perde pas en conjectures, mais qu’il se concentre plutôt sur ce qu’il peut concrètement réaliser dans le laps de temps indéterminé qui lui est imparti. D’aucuns parlent d’une mission principale qui serait de « préparer les échéances électorales à venir ». Mais se contentera-t-il de cela ? Gageons que non. Il voudra agir, mais cette volonté sera freiner par le fait qu’il n’est pas le chef de l’exécutif, ce que beaucoup semblent oublier.
Il est aisé de penser que ce premier ministère n’est qu’un cadeau empoisonné pour un homme qui aura révolutionné la politique tchadienne (dans sa pratique et dans sa manière de la penser) et porté des espoirs, mieux il a su les insuffler à une partie de la population. Quelles sont les raisons qui ont poussé cette (presque) seule opposition à travailler avec ceux qu’elle vouait aux gémonies il y a un an encore un an ? Pourquoi ne pas avoir pris le temps d’entrer par la grande porte en attendant les échéances électorales qui l’aurait légitimée et imposée sur l’échiquier politique ? Cette précipitation ne trahit-elle pas une crainte d’essoufflement généralisé des troupes après 5 années très dures passées dans l’opposition ? Seuls Masra et son entourage politique peuvent répondre à ces questions, mais en attendant l’espoir de toute une frange de la population tchadienne s’expose à tous les dangers et désagréments de la fonction de chef de gouvernement qui n’est, selon la journaliste Raphaëlle Bacquée, que « le tête à claques d’un exécutif bicéphale » ou « juste un fusible » que l’on fait sauter lorsque l’on veut redonner du souffle à un cycle de pouvoir.
