05/10/2025                                                                            
                                    
                                                                            
                                            🇹🇩 Quand les artistes et journalistes cèdent la scène aux tiktokeurs
Par Mahamat Issa Dahalop, artiste et journaliste
Les propos du président de l’Union des télévisions privées du Tchad, tenus cette semaine lors d’une conférence de presse, ont provoqué une véritable onde de choc dans le paysage médiatique et culturel. L’homme a ouvertement pointé du doigt le ministère de la Culture, l’accusant d’avoir failli à sa mission de valorisation des véritables professionnels du secteur : artistes et journalistes formés.
Le constat est amer : au lieu de promouvoir les talents issus d’une formation reconnue ou ayant fait leurs preuves sur le terrain, les autorités multiplient les tribunes offertes aux créateurs de contenus venus des réseaux sociaux – notamment de TikTok – dont les compétences artistiques ou journalistiques sont, pour la plupart, inexistantes.
Face à ces critiques, certains tiktokeurs n’ont pas tardé à répliquer, parfois par des propos virulents, voire injurieux. D’autres ont même revendiqué leur rôle dans le “remplacement” des professionnels. Une posture pour le moins surprenante de la part de jeunes souvent armés d’un simple smartphone, qui s’autoproclament désormais plus légitimes que des praticiens reconnus par l’État.
Cette tendance révèle un glissement préoccupant : de nombreux jeunes nés dans les années 2000, sans expérience réelle, s’invitent désormais dans les sphères officielles avec la bénédiction de certains responsables peu soucieux des critères de compétence et de mérite. Peu à peu, ils occupent l’espace public, reléguant au second plan ceux qui, depuis des années, œuvrent à la promotion de la culture et de l’information au Tchad.
En tant qu’artiste et journaliste, je tiens à rétablir une vérité : les tiktokeurs ne nous ont pas remplacés. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est avant tout une crise de gouvernance culturelle. La légitimité ne se mesure pas au nombre de vues sur une vidéo, mais à la formation, à la rigueur, à l’éthique et à la contribution réelle au développement du secteur.
Que les créateurs de contenus se rassurent : leur succès actuel repose sur une dynamique éphémère, alimentée par un système mal encadré. Mais cette euphorie ne saurait durer. Les artistes et journalistes professionnels ne cherchent pas la validation de ces influenceurs ; bien au contraire, ce sont souvent eux qui sollicitent les institutions pour obtenir reconnaissance, visibilité et… parfois un peu de “gombo”.
Contrairement à cette course effrénée à la notoriété, les professionnels évoluent dans un cadre structuré, régi par des textes et des statuts clairs. Leur rôle est défini, leur mission reconnue. Les réseaux sociaux, aussi puissants soient-ils, ne peuvent en aucun cas remplacer le travail de fond ni la responsabilité qui incombent aux véritables acteurs culturels.
En définitive, la sortie de M. Janse, président de l’Union des télévisions privées, n’est pas seulement légitime, elle est salutaire. Car il y a urgence : la culture tchadienne mérite d’être portée par des voix solides, formées et crédibles — et non réduite à de simples contenus éphémères destinés à divertir le temps d’un scroll.