22/07/2023
Un voyage visuel dans l'univers Wes Andersonien
Quand on se rend à un film de Wes Anderson, on ne s'attend généralement pas à un mélodrame touchant ou à des émotions humaines réalistes. On y vient pour des drames de maisons de poupées élaborés, avec des récits imbriqués et des énigmes satiriques.
Se rendre à un film de Wes Anderson c’est aussi embrasser une esthétique unique où le réalisme des émotions humaines laissent place à des mises en scène minutieusement orchestrées et des récits enchâssés.
Avec son dernier opus "Asteroid City", le réalisateur adorateur du velours côtelé nous livre une fois de plus un méta-puzzle en forme de montre suisse, à la frontière de la nostalgie, sub-Spielbergienne teinté de surréalisme, avec un casting d'exception jouant comme des mannequins animés. Loin de laisser indifférent, le film nous fait osciller entre l'amusement fantaisiste, la curiosité et l'irritation assumée. Les fans seront certainement éblouis par son esthétique visuelle minutieusement imitative de la vie en miniature,
Dès les premières images, nous sommes plongés dans un écran de télévision en noir et blanc d'une émission à l'ancienne, animée par Bryan Cranston, qui nous invite dans l'univers de la pièce de théâtre éponyme. L'œuvre théâtrale, signée Conrad Earp (interprété par Ed Norton), nous transporte dans le sud-ouest américain des années 1950 et explore le thème de l'infini et je ne sais quoi d'autre.
Le décor change alors radicalement pour nous offrir une esthétique en cinémascope aux tons ocre brûlé, propre au théâtre dans le théâtre, une fantaisie pirandellienne où des personnages hauts en couleur (qui sortent parfois de leur rôle pour discuter de leur motivation) convergent vers un établissement du désert, composé d'un café, d'une station-service, d'un motel, d'un observatoire et d'un cratère de météorite. Tout semble être une scène de théâtre, avec des courses poursuites de voitures jouets Scalextric qui se déroulent régulièrement. Quant aux personnages (interprétés par des stars telles que Tilda Swinton et Jeffrey Wright), ils adoptent le ton monocorde et rapide, propre à la voix auctoriale d'Anderson. À l'horizon, des champignons nucléaires explosent, rappelant des essais nucléaires à proximité, mais distrayant aussi l'attention sur le prochain film d'un tout autre genre, "Oppenheimer" de Christopher Nolan. L'attente est déjà palpable.
Asteroid City (la ville, non pas la pièce ou le film), accueille une joyeuse troupe d'astronomes en herbe et de cadets de l'espace. Parmi eux, Woodrow Steenbeck (Jake Ryan), surnommé "Brainiac", dont le père, Augie (Jason Schwartzman), garde les cendres de sa femme dans des boîtes Tupperware sans avoir encore informé Woodrow et ses sœurs du décès de leur mère. Augie, photographe de guerre à la pipe bien pendue, tombe sous le charme de Midge Campbell (Scarlett Johansson), une présence glamour ayant une fille passionnée d'astronomie, Dinah (Grace Edwards), qui s'entend à merveille avec Woodrow. Pendant ce temps, le beau-père d'Augie, Stanley Zak (Tom Hanks), est en route pour Asteroid City, de même qu'un étrange extraterrestre aux intentions mystérieuses vis-à-vis de la pierre spatiale historique de la ville, provoquant un bouclage militaire.
Le dialogue se teinte d'expressions mignonnes et sérieuses, le tout accompagné d'une parade de sandales et de chaussettes remontées.
C'est le directeur de la photographie Robert Yeoman qui capture cette histoire avec des caméras à panoramique bien marqué, se déplaçant d'un côté à l'autre (et parfois de haut en bas), rappelant le jeu télévisé des années 1960/70, "The Golden Shot", avec l'opérateur d'arbalète aveuglé par un bandeau. Pendant ce temps, de retour sur la côte Est, l'histoire de la production de cette "fabrication apocryphe" se joue au théâtre Tarkington, où les mêmes acteurs jouent à présent des acteurs, naviguant entre des mondes tout aussi artificiels (un Broadway à la rencontre de l'ouest), parfois de manière délibérée, parfois de manière accidentelle, mais toujours avec une intention bien affirmée.
Anderson et son co-scénariste Roman Coppola distillent leur dialogue de petites expressions mignonnes ("Gadzooks") et de maladresses propres aux passionnés ("J'adore la gravité"), le tout accompagné de la parade de sandales et de chaussettes remontées, de pantalons effrayants et de chemises bien repassées, caractéristiques du style Andersonien. Les noms des personnages font un clin d'œil à l'histoire du cinéma (par exemple, Steenbeck est une machine de montage cinématographique), mais l'atmosphère est scellée sous vide, avec une modernité suffisante devenue étouffante. Lorsque Johansson déclare à Schwartzman que leurs personnages sont "deux personnes catastrophiquement blessées qui ne montrent pas la profondeur de notre douleur parce que nous ne le voulons pas", difficile de savoir s'il faut hausser les épaules, compatir ou sourire. Ailleurs, la déclaration : "Nous sommes en deuil" atterrit comme une soucoupe volante ayant perdu sa volonté de voler. Un choix assumé, certainement.
Tout au long du film, les scènes sont organisées de manière symétrique, avec un souci du détail extraordinaire. Les décors, les costumes et les mouvements des personnages sont disposés de manière à créer une harmonie visuelle presque hypnotique. Chaque élément semble avoir été minutieusement placé dans le cadre pour produire une composition esthétiquement équilibrée.
Caméra en permanent traveling et composition parfaitement symetrique :
Un autre aspect distinctif du style visuel d'Anderson est l'utilisation du travelling, qui est exploité de manière créative dans "Asteroid City”. Les mouvements fluides de la caméra suivent les personnages à travers les décors de manière gracieuse et fluide, offrant au spectateur une immersion cinématographique plus profonde dans l'univers de la ville astéroïde. Les plans larges et panoramiques offrent une vue d'ensemble de l'environnement soigneusement conçu, tandis que les plans rapprochés permettent de capter les émotions et les expressions des personnages de manière intime.
Le choix du travelling dans le film souligne l'importance des lieux et des espaces dans l'histoire. Chaque endroit est imprégné de détails et de significations qui contribuent à l'ensemble du récit. En suivant les personnages à travers ces lieux, le spectateur est entraîné dans une expérience cinématographique immersive, où chaque pas révèle une nouvelle dimension de l'histoire.
L'esthétique symétrique et le jeu subtil du travelling dans le film renforcent l'atmosphère onirique du film, ajoutant une couche supplémentaire de profondeur à l'exploration des thèmes sociaux et politiques. Cette maîtrise visuelle témoigne du talent indéniable du réalisateur Wes Anderson pour créer des mondes cinématographiques uniques qui restent gravés dans l'esprit du spectateur bien après que le générique final ait défilé.
Des caméos de grandes personnalités viennent et vont (Willem Dafoe, Jeff Goldblum, Margot Robbie, Jarvis Cocker avec une planche à laver), mais lorsque "Indian Love Call" de Slim Whitman résonne sur la bande son, je me souviens du chaos indulgent de "Mars Attacks !" de Tim Burton. "On ne peut pas se réveiller si on ne s'endort pas", chantent les acteurs. Pour certains spectateurs d'Asteroid City, je doute que cela soit un problème.