10/29/2025
Kesner Jean-Yves Charles — “Ou Se Nanm Tèt Mwen” : Poétique d’un amour créole
Un hommage à la langue et à l’âme haïtienne, publié pour la Journée internationale de la langue et de la culture créole.
Par Emerson Vilbrun
Dans le souffle chaud du créole, Kesner Jean-Yves Charles fait vibrer l’amour comme une prière, la langue comme une caresse, et la poésie comme un acte de foi.
À l’occasion de la Journée internationale de la langue et de la culture créole célébrée ce mardi 28 novembre, le sociologue de formation Kesner Jean-Yves Charles nous offre un joyau poétique : Ou Se Nanm Tèt Mwen, un poème fleuve vibrant où la langue créole s’élève, fière et noble, au service de l’amour, de la beauté et de la dignité humaine.
Héritier de la grande tradition poétique haïtienne — de Félix Morisseau-Leroy à Frankétienne — Charles inscrit sa voix dans le sillage de ceux qui ont fait du créole une langue de liberté et de lumière.
Loin d’être une simple déclaration amoureuse, Ou Se Nanm Tèt Mwen est une ode à la femme, à la nature et à l’identité créole. À travers une langue sensuelle et spirituelle, l’auteur tisse une trame d’émotions où se mêlent l’érotisme, le sacré et la mémoire d’un peuple enraciné dans sa parole.
Chez Kesner Charles, aimer, c’est aussi parler sa langue, honorer sa terre et célébrer la vie.
Le choix du créole n’est pas anodin : il s’agit d’un acte de résistance et d’amour. Dans une société où la langue a longtemps été un marqueur de domination, écrire la passion, la tendresse et la beauté en créole revient à reconquérir sa voix, son identité et sa dignité.
Kesner Jean-Yves Charles fait de la langue un chant. Le rythme, les sonorités, les images sensuelles et mystiques traduisent la richesse expressive du créole :
“Lonbray ou karese m,
Lodè w vonvonnen m,
Chapant kò m frisonnen…”
Ici, les mots respirent, vibrent, caressent. La langue devient corps, souffle, émotion. Chaque poème est une célébration du pouvoir expressif du créole — un hommage à sa musicalité, sa force et sa tendresse.
Dans Ou Se Nanm Tèt Mwen, la femme n’est pas un simple sujet de désir : elle est force cosmique, divinité terrestre, mystère vivant.
Le poète chante une union où l’amour et la spiritualité se confondent :
“Ou sonw tablo mèvèy,
Ou plis ke sa moun ka ye,
Ou pa sen,
Ou pa vyèj,
Poutan se devan w kè m ajenou.”
Cet amour est à la fois sensuel et sacré, un mélange de passion charnelle et de ferveur mystique.
La femme devient prière, temple et horizon. Elle incarne le lien entre le monde visible et l’invisible — entre Éros et Vodou, entre chair et esprit.
Le recueil est traversé par les éléments : la terre, la mer, le vent, les étoiles.
Charles inscrit son amour dans la grande symphonie du vivant :
“Zèb ginen mande w pile l,
Latè priye w krache nan figi l,
Zetwal plen syèl la gran midi…”
Ces images puissantes rappellent la cosmogonie haïtienne, où l’humain, la nature et le divin ne font qu’un.
L’amour devient alors un rituel d’union cosmique, une communion entre le corps et la terre.
Dans cette perspective, aimer, c’est participer au mouvement du monde, à la respiration sacrée de la vie.
Chez Kesner Jean-Yves Charles, l’amour n’est pas seulement un sentiment : c’est une énergie vitale, une force de guérison.
L’être aimé détient un pouvoir de soin et de régénération :
“Sim malad, bouyi grat pye w ban m bwè,
Karès ou se ralman m lè kò m kraze.”
Dans la tendresse du geste, dans la douceur du mot, réside une foi : celle en la puissance guérisseuse de l’amour.
Cet amour ne détruit pas — il soigne. Il élève l’humain au-dessus de sa souffrance et le rend à sa lumière.
Le recueil s’achève sur une vision d’amour absolu et spirituel, où la femme devient à la fois Erzulie Freda, déesse de la tendresse et de la beauté, et Erzulie Dantò, symbole de la force et de la protection :
“Ou se Freda m, ou se Dantò m,
Ou se nanm tèt mwen.”
En invoquant ces figures du panthéon vodou, Kesner Charles unit le sacré haïtien et la passion humaine dans une même parole poétique.
C’est l’amour dans sa dimension la plus haute : celui qui unit, qui guérit et qui transcende.
Paru dans le cadre de la Journée internationale de la langue et de la culture créole, Ou Se Nanm Tèt Mwen n’est pas seulement un recueil de poèmes d’amour.
C’est un chant d’identité, une prière poétique à la langue créole, à la femme, à la nature et à l’esprit haïtien.
Kesner Jean-Yves Charles s’y affirme comme l’un des grands artisans de la parole créole moderne — un poète qui fait danser les mots au rythme du tambour, qui élève le désir au rang de sacré, et qui rappelle que parler créole, c’est honorer la vie.
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