10/08/2025
La déclaration de Tamara Acyl Ahmat Akhabach, qui se présente comme citoyenne engagée et conseillère spéciale du Chef de l’État, est une rhétorique d’unité et de responsabilité, mais elle s’inscrit dans une tension évidente entre le discours moral et la réalité politique tchadienne.
À première lecture, le texte se veut noble, empreint d’un ton républicain et d’un appel à la conscience nationale. Elle y prône la justice égale pour tous, la responsabilité des dirigeants, et l’appui loyal au Chef de l’État dans l’accomplissement de sa mission. Des valeurs que tout citoyen de bonne foi pourrait soutenir. Mais c’est précisément là que réside le paradoxe : le discours sonne juste dans la forme, mais creux dans le contexte.
1. Une rhétorique morale face à un système dévoyé
Lorsqu’une conseillère du Chef de l’État parle de justice égale, de lutte contre la corruption et d’unité nationale, elle se trouve en première ligne d’un système où ces mêmes valeurs sont quotidiennement piétinées. Le Tchad reste marqué par l’impunité, le népotisme, les privilèges claniques et la manipulation politique. Parler de justice « sans privilège, sans distinction » devient presque une provocation face à ceux qui subissent l’arbitraire d’un pouvoir verrouillé par la même élite depuis des décennies.
Cette déclaration, dès lors, prend des allures d’incantation morale : de belles paroles qui contrastent violemment avec la pratique du pouvoir auquel elle appartient. On ne peut être à la fois témoin et complice silencieuse d’un système d’injustice, puis venir prêcher la vertu sans assumer les actes concrets de ce système.
2. Un appel à soutenir le Chef de l’État : patriotisme ou soumission ?
Le passage où elle appelle à soutenir le Chef de l’État est ambigu. Elle affirme que le Président n’est pas là pour servir les intérêts particuliers, ni ceux de sa famille, ni d’une communauté — une phrase qui, dans le contexte tchadien, sonne presque ironique.
Car depuis la mort d’Idriss Déby, la gouvernance de Mahamat Idriss Déby Itno a été marquée par une reconcentration du pouvoir autour d’un cercle restreint, dominé par les logiques familiales et communautaires.
Soutenir le Chef de l’État ne devrait pas signifier approuver sans réserve, encore moins taire les injustices. L’engagement véritable, c’est celui qui ose interpeller le pouvoir, non celui qui le caresse dans le sens du poil au nom de l’unité nationale. Derrière l’appel à « l’unité », on devine une tentative de désamorcer la critique et de réunir autour du Président ceux qui doutent ou contestent la légitimité de son exercice du pouvoir.
3. L’appel à la justice : sincérité ou diversion ?
Le passage le plus fort du texte « Nul n’est au-dessus de la loi » sonne comme un serment. Mais c’est précisément la phrase qu’on entend le plus dans les régimes où la loi sert à punir les faibles et à protéger les puissants.
Pour qu’un tel message soit crédible, il faudrait que la justice tchadienne ait déjà démontré son indépendance, ce qui n’est pas le cas. La politisation du judiciaire, les arrestations arbitraires, les procès sélectifs et la corruption du système judiciaire sapent toute confiance. L’appel à la rigueur sans action concrète devient alors une opération de communication morale, une façon d’habiller un pouvoir contesté d’un vernis d’intégrité.
4. Le piège du discours unitaire
En affirmant que « le Tchad est un et indivisible » et qu’il ne doit pas être « pris en otage par des logiques de clan », la conseillère semble pointer du doigt les divisions internes qui rongent le pays. Mais elle oublie de dire que ces divisions ne naissent pas d’un peuple capricieux : elles sont le produit direct d’un système de gouvernance inégalitaire, qui privilégie certains groupes, marginalise d’autres et entretient les fractures ethniques et régionales à des fins politiques.
Le discours d’unité, dans ce contexte, devient un anesthésiant politique : on appelle à la cohésion pendant qu’on entretient la ségrégation sociale et économique.
Bref, cette déclaration est habilement écrite, émotionnellement calibrée, et moralement séduisante. Mais elle manque d’un ingrédient essentiel : la crédibilité. Car la justice, la dignité et la responsabilité ne se décrètent pas dans des communiqués, elles se prouvent dans les actes du pouvoir.
Si Tamara Acyl Ahmat Akhabach veut que son appel soit entendu, qu’elle commence par dénoncer publiquement les injustices du système qu’elle sert, par nommer les corrupteurs et les corrompus, par défendre ceux qu’on muselle. Sans cela, son discours restera un exercice d’équilibrisme entre la conscience citoyenne et la loyauté politique — autrement dit, une prière de pureté dans un océan de compromissions.
La vraie loyauté envers le Tchad, c’est la vérité, pas la dévotion.
Eric Ngarlem Toldé, Journaliste engagé pour la justice et la vérité au Tchad.