07/06/2025
: Le poids du pardon face aux fantômes de la guerre
Par Réalité Politique Média
Il est des silences qui pèsent sur les nations, des silences lourds, gorgés de sang, de larmes et d’injustices. Vingt ans après la fin des guerres civiles qui ont ravagé le Liberia, causant 250 000 morts, des milliers de viols, de mutilations, d’enfants soldats arrachés à leur enfance, le président Joseph Boakai a choisi de rompre ce silence.
Samedi 5 juillet 2025, à Monrovia, le chef de l’État a présenté les excuses officielles de l’État libérien aux victimes de ces conflits, à leurs familles, et à tous ceux dont les rêves ont été brisés par des décennies de violence.
> « À chaque victime de notre guerre civile, à chaque famille brisée, à chaque rêve fracassé, nous disons : nous en sommes désolés. »
Dans cet acte symbolique, Joseph Boakai inscrit son mandat sous le sceau de la reconnaissance des souffrances, là où d’autres ont préféré tourner la page sans même la lire. Il a compris que l’État a failli, qu’il a laissé les armes parler là où le dialogue devait être roi, et que la dignité d’un peuple ne se reconstruit pas sans mémoire ni justice.
Mais demander pardon ne suffit pas. Le Liberia reste prisonnier de ses fantômes. Ceux qui ont commandité des massacres, des viols systématiques, des tortures, sont encore là, influents, présents dans les sphères politiques, protégés par l’omerta et la peur. La Commission Vérité et Réconciliation, en 2009, avait appelé à la création d’un tribunal pour juger les crimes de guerre. Rien n’a été fait.
Joseph Boakai, en appelant à mettre en œuvre les recommandations-clés de cette Commission, vient de rouvrir une porte que beaucoup souhaitaient définitivement close. Car sans justice, la réconciliation reste une utopie, un slogan creux dans des cérémonies de façade.
Il n’y a pas une famille libérienne qui n’ait été touchée par cette tragédie. Le pays porte encore les cicatrices des enfants-soldats transformés en tueurs, des mères violées, des villages rasés. Pire encore, ces traumatismes ont façonné une jeunesse en perte de repères, un pays aux infrastructures détruites, une économie fragilisée.
Demander pardon, c’est reconnaître l’horreur. Mais juger, c’est refuser qu’elle se reproduise.
Le Liberia, par la voix de Joseph Boakai, a fait un pas courageux vers la guérison. Ce pas doit maintenant être suivi d’actes concrets : ouvrir le chantier de la justice, même tardive, pour rappeler que la dignité humaine est sacrée et que l’impunité n’a pas sa place dans une nation qui se veut en paix avec elle-même.
La réconciliation nationale ne peut être un simple cérémonial : elle doit être un engagement politique ferme, un travail de mémoire, et une justice qui panse les plaies sans les effacer.
Parce qu’aucun pays ne peut réellement avancer en laissant ses fantômes dicter sa marche, le Liberia doit aller jusqu’au bout de ce pardon : non pas seulement en le déclarant, mais en rendant justice.
Réalité Politique-Médias