09/27/2025
Une dérive applaudie : quand la scène haïtienne expose les enfants
Dans le paysage musical haïtien, un phénomène inquiétant s’installe peu à peu, applaudi par certains comme un signe d’émergence : l’exposition d’enfants mineurs sur scène, lors de concerts nocturnes, aux côtés de musiciens renommés.
Il n’est pas rare aujourd’hui de voir des artistes reconnus céder leur micro à des enfants de 6, 8, 9 ou 14 ans, présentés comme des prodiges. Gracia Delva, avec Mass Konpa, a fait de Ti Lemoine, 14 ans, un guitariste attitré du groupe. Arly Larivière, leader de Nu Look, s’est affiché avec Oby, 16 ans, au clavier. Gazman Couleur, de Dissip, a récemment partagé la scène avec une fillette de 9 ans interprétant It doesn’t matter. Et tout dernièrement, Anie Alerte, à Port-de-Paix, a laissé une enfant de 6 ans chanter une pièce du groupe Zile.
La fascination pour le "petit prodige"
La société applaudit, émerveillée par le courage et le talent de ces enfants. Mais derrière l’émotion, une question dérangeante se pose : cette pratique est-elle légale ? Est-elle responsable ? N’assistons-nous pas à une banalisation de l’exploitation précoce des mineurs au nom du spectacle ?
La loi et l’éthique en jeu
Les artistes et producteurs semblent ignorer, ou feignent d’ignorer, que l’âge de ces enfants n’est pas compatible avec la nature des événements nocturnes auxquels ils sont exposés. Les concerts tardifs, souvent accompagnés de consommation d’alcool, de comportements d’adultes et de réalités qui ne conviennent pas à un public juvénile, deviennent pour ces jeunes un terrain d’initiation forcée. Ce n’est pas d’un simple concert de jour, familial et inclusif, qu’il s’agit, mais d’un univers marqué par des codes adultes, parfois brutaux.
Une responsabilité partagée
Au-delà des artistes eux-mêmes, la responsabilité incombe aux organisateurs, aux parents, mais aussi aux autorités culturelles et judiciaires. Le droit du travail, la protection de l’enfance, et même le simple bon sens devraient suffire pour interdire ce type de pratiques. Laisser croire qu’un enfant de 6 ans ou de 9 ans a sa place sur une scène à minuit, devant un public adulte, revient à légitimer une dérive dangereuse.
Préserver l’avenir, pas le sacrifier
L’émergence artistique d’un enfant ne doit pas se faire dans l’exposition prématurée ni dans l’instrumentalisation par des adultes en quête de sensations fortes pour leur public. Il existe des espaces appropriés, des cadres pédagogiques, des concours adaptés, où le talent des jeunes peut éclore sans mettre en péril leur équilibre psychologique, leur santé et leur droit fondamental à l’enfance.
En vérité, ce qui est applaudi aujourd’hui comme une « innovation » musicale n’est rien d’autre qu’une dérive. Une dérive qui exige une prise de conscience urgente, si l’on veut éviter que la scène haïtienne ne devienne un théâtre d’exploitation des plus vulnérables.
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