
07/29/2025
En Ăgypte, en 1865, il nâĂ©tait pas rare de voir des marchands ambulants vendre quelque chose qui nous semblerait aujourdâhui impensable : des momies. EnveloppĂ©es et altĂ©rĂ©es par le temps, parfois encore partiellement recouvertes de leurs bandelettes de lin, ces dĂ©pouilles antiques Ă©taient vendues au grand jour comme de simples marchandises. Ă cette Ă©poque, des siĂšcles de fascination et de commerce avaient transformĂ© les corps momifiĂ©s en une sorte de bien macabre.
La pratique avait des racines anciennes. DĂšs le XIe siĂšcle, le polymathe persan Avicenne (Ibn Sina) Ă©crivait sur lâutilisation de chair de momie rĂ©duite en poudre comme remĂšde contre les hĂ©morragies internes et dâautres maux. Cette « mĂ©decine de momie » fit son chemin jusquâen Europe, oĂč elle intĂ©gra les Ă©tagĂšres des apothicaires pendant des siĂšcles. BroyĂ©e en fine poudre, on lui prĂȘtait des vertus curatives, et elle Ă©tait ingĂ©rĂ©e ou appliquĂ©e en cataplasme â surtout par les classes aisĂ©es.
Mais les momies ne servaient pas quâĂ la mĂ©decine. Les artistes utilisaient un pigment brunĂątre surnommĂ© « brun momie » pour la peinture. Et les collectionneurs et voyageurs europĂ©ens les considĂ©raient comme souvenirs ou objets de curiositĂ©. En Angleterre victorienne, des « soirĂ©es de dĂ©ballage de momies » devinrent mĂȘme une forme sinistre de divertissement mondain.
Ce commerce Ă©trange prospĂ©ra jusquâau dĂ©but du XXe siĂšcle, quand le vent commença Ă tourner. Ă mesure que lâintĂ©rĂȘt europĂ©en pour lâĂgypte ancienne grandissait, les attitudes publiques Ă©voluĂšrent : de lâexploitation dĂ©sinvolte Ă une curiositĂ© plus respectueuse (quoique toujours teintĂ©e dâexotisme). Les articles sensationnalistes sur la « MalĂ©diction des pharaons » qui suivirent la dĂ©couverte du tombeau de ToutĂąnkhamon en 1922 contribuĂšrent Ă faire reculer lâidĂ©e de manipuler les momies avec lĂ©gĂšretĂ©. Entre romantisme, superstition et un respect croissant pour lâarchĂ©ologie, la fin du commerce de momies Ă©tait amorcĂ©e.
Et pourtant, le marchand ambulant de 1865 reste un rappel frappant : pendant des siĂšcles, les morts de lâĂgypte ancienne nâont pas seulement Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s, mais aussi vendus, consommĂ©s, transformĂ©s en peinture et mythifiĂ©s â pris entre mĂ©decine, art, commerce et spectacle.