06/02/2025
Luis EnriDios
Par Patrice Dumont
En échangeant avec mon cousin Clémenceau Dumont après la finale PSG-Inter (5-0), a giclé dans mes pensées Herbert Von Karajan, ce chef-d'orchestre allemand du début du 20e siècle que ses propres musiciens et beaucoup d'autres personnes surnommaient "Dieu", et qui s'assumait comme tel. Si Luis Enrique a un caractère fort et a conduit le projet technique du PSG avec la conviction d'un initié jusqu'au triplé européen 2025, championnat et coupe nationaux et Ligue des champions, rien de ce qu'il a pu dire ou laisser croire ne porterait quiconque à le présenter comme un illuminé, voire qu'il oserait commettre le blasphème suprême: se prendre pour Dieu le Père, comme Von Karajan.
Cela dit, l'Asturien a accompli ce samedi 31 mai, à Munich, un master-class divin comme on en voit très peu dans un sport collectif. Pour l'ensemble managérial de son œuvre de la saison et les 90 minutes de pures enluminures de Munich, il a droit au patronyme d'EnriDios.
D'abord, aux deux grandes questions que pose généralement son adversaire du jour, à savoir les contre-attaques meurtrières que relaient les demi-latéraux Dumfries et Di Marco et les étincelles des deux attaquants Martinez et Thuram, il a opposé sa réponse d'école, ce football que j'appelle la Révolution Post Moderne de la Beauté Intégrale (RPMBI) que les Catalans désignent par l'onomatopée Tiki-Taka. Autrement dit, la possession du ballon servie par une technique de velours, avec la ferme conviction que la méthode est imparable. Cruyff le fondateur, Guardiola le vulgarisateur, depuis hier samedi 31 mai 2025 à Munich, Luis EnriDios l'enrichisseur.
Parlons-en. Déjà, durant les années 1970, sous la houlette de Rinus Michels, Cruyff était un avant-centre tout terrain, c'est-à-dire premier défenseur de son équipe par le pressing imposé aux défenseurs adverses, meneur de jeu explorateur d'espaces, adjoint tactique de l'entraîneur sur le terrain. Guardiola a dû s'en inspirer quand il surprit Manchester United en finale de la LDC 2012 en plaçant Messi en position nominale d'avant-centre avec une totale liberté de naviguer entre les défenseurs adverses et dans la zone démilitarisée (entre les lignes). C'est ce pari apparemment fou que EnriDios a engagé et réussi avec Dembélé, instinctif dribbleur de lisière certes, mais passeur et tireur agaçant, de plus désespérément brouillon tactiquement.
On a vu, en effet, le Parisien débordant d'énergie, admirable de précision technique et de lucidité tactique dans son rôle similaire à celui du Messi de la finale contre Manchester du 28 mai 2011 à Wemblay (3-1, Pedro, Messi, Villa et Rooney pour Man U). Une petite différence: Dembélé n'a pas marqué dans cette finale de 2025. En revanche, l'on a été autant subjugué par la plénitude de son jeu - pressing, fantaisie et créativité techniques, renversement de jeu, mais encore ses voyages variés vers le milieu du terrain et sur les deux bordures, envoûtant toute l'équipe adverse - néanmoins muet dans le score, comme l'a été un certain Messi lors de la Manita (5-0) du clasico du 29 novembre 2010 entre le Barça et le Real. Les partenaires de Dembélé ont bien compris la métamorphose de leur leader technique quand, par la voix de leur capitaine Marquinhos, ils ont pétitionné avec le peuple de Paris en liesse, sur les Champs Élysées, le nom de Dembélé pour le Ballon d'Or 2025.
Comment oublier que la marche vers Munich a été ponctuée d'une mise à l'écart du même Dembélé pour re**rd à l'entraînement, à la veille d'un sommet contre Arsenal, par EnriDios qui jugea alors qu'un "tel manquement est une preuve que le joueur n'est pas prêt pour le match"!? Il a été aussi clair et ferme avec ses dirigeants à propos de M Bappé, talon d'Achille de son plan de football total: "L'équipe ne doit pas dépendre d'un joueur et nous serons plus forts la saison prochaine", avait-il prophétisé.
Tout cela n'est qu'une partie de la création d'EnriDios. Il a enrichi le legs de Cruyff par le mouvement permanent dans tous les sens, contraire au jeu dit "de position" auquel avait fini par se conformer Guardiola, pourtant plus fort que lui. Thierry Henry en a fait le témoignage. EnriDios nous a donc donné à effet de contemplation, autour du nouveau maître Dembélé, un tourbillon d'entrelacements des Doué, Kvaratskhelia, Ruiz, Neves, même l'arrière latéral Hakimi, Vitinha (quelle performance de celui-ci!).
La perfection de l'œuvre s'est manifestée jusque dans les changements opérés. Alors que Désiré Doué flirtait avec les esprits célestes, deux buts, une passe décisive et moult actions de classe, EnriDios le sortit au lieu de Kvaratskhelia, le moins brillant des offensifs, au profit de Barcola. Celui-ci rata deux buts mais en offrit un à Mayulu, 18 ans, entré aussi, en fin de match et, donc, dernier buteur d'une soirée aux mille lumières, tandis que le Géorgien marquait le troisième but, confirmant l'état divin de son entraîneur.
Et les défenseurs? Le gardien Donnaruma rata une relance au pied mais sauva un ballon dangereux au ras du sol et à bout portant de Thuram. Buteur et beaucoup plus que cela, Hakimi est en train de s'installer dans la loge des très grands latéraux de classe mondiale, de Djalma Santos à Paolo Maldini. Les trois autres, l'Équatorien Pacho, le capitaine Marquinhos, le Portugais Mendes, celui-ci remplacé par Hernandez, ont bien tenu leur rang individuellement et ont respecté les consignes stratégiques de jouer en bloc avec les milieux et le trio d'attaque, sans cependant offrir d'espaces dans leur dos. Ils se sont souvenu du Barça prodigateur de cadeaux au même adversaire en demi-finale.
Voilà en peu de mots très humblement humains le contenu d'une splendeur authentique que seule la divinité a le secret.
Patrice Dumont
1e juin 2025